Quand j'ai reçu un mail annonçant la projection de Lost River et une rencontre avec Ryan Gosling et Reda Kateb à l'issue, je dois avouer que j'ai répondu vite, vite, des fois que l'on se soit trompée de destinataire! Ce n'est pas tous les jours qu'on a l'occasion de rencontrer des stars de cinéma, et puis pensez donc, Ryan Gosling c'est... comment dire ?

 

Bon, admettons que mon enthousiasme n'était pas purement cinématographique, mais que voulez-vous... Le cinéma, c'est fait pour rêver un peu !

C'est donc d'humeur plutôt guillerette que je me retrouve quelque part du côté des champs Elysées pour la projection de Lost River, le premier long métrage de Ryan Gosling en tant que réalisateur - film qui s'avèrera, en ce qui me concerne, une bonne, bien qu'éprouvante, surprise (chronique par ici). A la suite de quoi la salle attendra avec impatience l'arrivée de Ryan et Reda, pris dans les embouteillages. Les blogueurs préparent leurs questions, et l'on dégaine appareils photos et  enregistreurs pour immortaliser l'instant : rencontre avec deux amoureux du cinéma indépendant.

 

 

Ryan, vous avez réalisé, écrit et co-produit Lost River : quelles ont été vos influences durant le processus de création ?

Ryan Gosling : Vous savez que viens du Canada - j’espère que ça ne vous pose pas de problème – et c’est vrai qu’en grandissant là-bas, j’avais cette idée très romantique de l’Amérique, et surtout de Détroit, qui était très proche de là où j’ai grandi. C’est le berceau de General Motors, de la Ford T, du rêve américain et je dois avouer que lorsque j’ai découvert cette ville, bien plus tard, j’ai été très surpris, parce que l’image que j’en avais ne correspondait pas du tout à la réalité. On pouvait y parcourir des dizaines de kilomètres sans croiser une seule famille. Celles qui restaient  s’accrochaient à leur maison, parfois détruites, brûlées, et j’avais la sensation que le rêve américain était surtout devenu un cauchemar pour elles. C’est pour cela que j’ai voulu montrer ce qu’était devenu Détroit, et un an avant de tourner le film, j’ai acheté une caméra pour pouvoir me rendre souvent en repérage. Les visuels que j’ai tournés à ce moment-là ont nourri à la fois l’écriture du film, mais également son style, plus tard. Ce processus créatif a donc été extrêmement graduel et organique.

 

Il y a quelque chose de très frappant, c’est que vos personnages ont des noms liés à ce qu’ils font, comme dans les contes de fées : Bully, Rat, Face… Il y a aussi cette chanson de Johnny Jewell qui parle du grand méchant loup, mais également un sortilège, et Détroit ressemble à une demoiselle en détresse. Pourquoi avez-vous choisi la forme du conte pour parler de ces rêves détruits ?

Ryan Gosling : Il y a quelque chose de très surréaliste quand vous vous promenez dans ces quartiers et dans la façon dont ces familles vivent. On a l’impression qu’elles se sentent comme les derniers habitants sur terre, et il y a un côté très 4e dimension, très conte de fées sombre : on a du mal à croire que cela puisse être réel. Je me suis dit que raconter cette histoire de façon trop littérale l’ancrerait trop spécifiquement à Détroit et je voulais la rendre plus accessible au travers de l’émotion de ces gamins, car ce n’était pas juste une histoire de crise économique. Je voulais également montrer le point de vue de deux adolescents qui grandissent là bas, et qui ont besoin pour avancer, de cette idée romantique que s’il y a un maléfice, il peut être levé. Cela leur donne de l’espoir. En cela, Lost River est avant tout  le regard de deux adolescents qui croient être dans un conte de fées.

Reda Kateb : Il y a une manière d’arriver quelque part avec un plateau de tournage  comme si on achetait l’endroit, ou comme si on venait y superposer une réalité de fiction. Lost River s’est vraiment fait dans l’échange avec les gens de Détroit. On sentait qu’ils étaient touchés que l’on vienne tourner dans leur ville, et par la manière dont ça se passait. Par exemple, on tournait une scène dans une station service, et quelqu’un qui passait par là était invité à rentrer dans le champ et à rejoindre l’action. Je pense que ça se voit dans le film, si on ne fait pas la distinction entre les moments volés et ceux où la rencontre a été organisée. C’est comme ça qu’on fait du cinéma, dans ce type d’endroits en tout cas.

 

Reda, nous évoquions le conte de fées, et dans Lost River, vous êtes en quelque sorte le prince charmant, à ceci près qu’au lieu d’un cheval blanc, vous avez un taxi. Comment avez-vous appréhendé ce rôle si subtil, si silencieux, et pourtant si essentiel ?

Reda Kateb :  La notion de Prince ou de sauveur n’a pas été évoquée en amont : avant de commencer le tournage, nous nous sommes rencontrés, Ryan et moi,  et on a parlé d’un personnage faisant corps avec son taxi, qui serait une espèce de lieu protecteur au milieu du chaos. Quand le personnage de Christina est dans le taxi, cela crée une sorte de bulle protectrice, chaleureuse, intime, avec un homme qui n’est pas là pour la dévorer comme les autres hommes, ni pour obtenir quelque chose d’elle, ni même tenter de la séduire, mais une espèce d’homme désintéressé et de chevalier servant. Quand on lit le scénario, il y a ce qui est écrit, et puis il y a toute l’histoire que raconte le metteur en scène avant de tourner, et c’est cette matière qui nous sert ensuite à raconter un personnage.

 

L’endroit où travaille Christina Hendricks rappelle le Grand-Guignol, l’ancien spectacle sanglant parisien. Pourquoi avez-vous choisi cet élément et comment en avez-vous entendu parler ?

Ryan Gosling : C’est tout à fait vrai, je me suis inspiré du Théâtre du Grand-Guignol, mais également d’un certain nombre d’autres lieux qui existaient à Paris à la même époque, comme le ou le Cabaret du Néant ou le Café de l’Enfer dont la façade du cabaret de Lost River s’est d’ailleurs inspirée. J’ai pensé à ce genre de régions dévastées à cause de l’économie ou à cause d’une catastrophe naturelle, et qui ont tendance à attirer ceux qui veulent donner libre cours à leur part d’ombre. On y trouve souvent ce genre d’établissement, où l’on peut céder à cette noirceur parce que personne ne vous voit. Je voulais incorporer cela à la structure du conte de fées et nous avons donc commencé à faire des recherches sur le Grand-Guignol pour créer dans Lost River un endroit où les gens pourraient exorciser leur côté sombre.

 

Ryan, qu’est ce qui vous a donné envie de faire de la réalisation après vos rôles en tant qu’acteur ?

Ryan Gosling : C’est une bonne sécurité de l’emploi ! Si on ne m’emploie plus en tant qu’acteur, je pourrai toujours jouer dans mes propres films, c’est toujours ça de pris !  - rires - Non, en réalité, ce n’était pas une volonté au départ, c’est vraiment venu en étant à Détroit et en voyant ces familles  et ce décor si particulier : il y a tellement de bâtiments historiques qui tombent en ruine que je me suis dit qu’il fallait que je tourne là. Quand on se promène dans ces quartiers, on a le sentiment de se perdre dans cette réalité étrange, là où d’autres sont obligés de vivre, et plus j’étais là bas, plus je sentais qu’il y avait quelque chose de déchirant, d’universel et de magnifique  dans la façon dont ces familles vivaient, une sorte de dignité à couler avec le navire.

 

Reda, qu’est ce qui vous a donné envie de jouer dans le film de Ryan ?

 Reda Kateb : J’aimais le scénario, tout simplement. J’ai d’ailleurs été étonné de recevoir un scénario de la part de Ryan, qu’il sache qui j’étais. J’avais beaucoup d’admiration pour lui en tant qu’acteur et je sentais que c’était quelqu’un qui avait un univers artistique qui dépassait l’image qu’on pouvait s’en faire, et j’avais notamment entendu sa musique. Dans ce cas-là on espère surtout que le scénario va être bien parce que sinon c’est embarrassant ! Non, vraiment, j’ai adoré le scénario, j’ai adoré l’idée d’un conte noir s’inscrivant dans le réel et même s’il n’y avait pas beaucoup de lignes de dialogue,  je savais que Ryan allait donner sa chance a chacun des personnages. Le plus long, ensuite, ça a été d’obtenir le visa !

 

 

 

Dans le film, votre personnage dit qu’il avait le rêve américain en venant, et que chez lui – même si on ne connaît pas son lieu d’origine – on dit qu’aux Etats-Unis, on roule littéralement sur l’or. Est-ce que vous aviez ce sentiment-là à propos des Etats-Unis avant d’y aller ?

Reda Kateb : Je n’ai jamais vraiment eu le rêve américain, j’avais surtout celui du cinéma, et il se trouve qu’aux Etats-Unis, il y a mille formes de cinéma. C’est marrant que vous évoquiez cette phrase, parce qu’elle fait partie des choses qui sont venues dans des improvisation : on a roulé, on a pris le temps de laisser venir des choses. Curieusement, ce sont des immigrés d’Algérie qui m’ont raconté que certaines personnes, arrivées il n’y a pas si longtemps, avaient cette image de la France. C’est quelque chose qui peut vraiment se transposer, car ce personnage est un exilé, qui pourrait venir de plein d’endroits, et qui pourrait être tombé dans plein d’endroits. Et il y a surtout ce grand malentendu de penser que ce sera facile ailleurs. Ce qui était beau dans le travail avec Ryan, c’est qu’il y avait vraiment de la place pour cette liberté,  non pas de faire de l’impro pour faire du blabla, mais de chercher ensemble à inventer des choses, de se sentir à la fois libre et guidé.  C’est simple, mais c’est plutôt rare.

 

Ryan, je souhaiterais en savoir davantage sur vos sources d’inspiration, car j’ai cru voir des références à des réalisateurs comme David Lynch, De Palma, à Kubrick, peut-être, avec cette sorte d’atmosphère rappelant Eyes Wide shut. Qu’en pensez-vous ?

Ryan Gosling : En fait, c’était plutôt  les Goonies que j’avais en tête au départ… véridique ! – Rires - J’ai envoyé le scénario à mon compositeur, Johnny Jewell et il m’a envoyé un texto, quelques heures plus tard qui disait : les Goonies en version sombre : Cool ! La plupart des références qu’on a utilisées sont plutôt des films du début des années 80 avec lesquels on a grandi : comme le secret de Nhim, les Goonies, et les films Amblin. Vous savez, ceux ou la vie d’une famille est menacée, et où il y a toujours la possibilité d’une issue, presque mystique ou en tout cas poétique. Je voulais faire ma propre version de ce type d’histoire, pour rendre hommage aux films qui m’ont fait aimer le cinéma à l’époque, mais qui soit également représentatif de la façon dont je conçois le cinéma maintenant.

 

Le montage du film a changé entre Cannes, et ce que nous venons de voir : quelles ont été les raisons de ces changements, et comment avez-vous choisi les éléments à modifier ?

Ryan Gosling : Dans le montage initial, Il y avait un certain nombre de musiques que je croyais, à tort,  libres de droit. J’ai donc dû les enlever. Nous avons essayé de les remplacer, mais certaines scènes dans le film reposaient entièrement  sur ces musiques, et l’ensemble de fonctionnait plus, alors j’ai décidé de les enlever entièrement. Et c’est sans doute aussi bien, au final.

 

 

Le film est toujours à la lisière du fantastique et de l’onirisme. Etait-ce  une volonté dès le départ de partir sur ce type de cinéma, pour renforcer la dimension sociale et pour la rendre plus lourde, ou est-ce  venu au fur et à mesure de l’écriture ?  

Ryan Gosling : L’idée de départ était que cette famille essayait de s’accrocher à son rêve, qui dès leur porte passée, tournait au cauchemar. Traduire cela dans le film, c’était trouver un moyen de se frayer un chemin entre le rêve - car c’est ainsi que ces deux adolescents le vivent - et la réalité, de rester à la lisère entre les deux. Pour ancrer ce rêve dans une réalité, nous avons essayé, dans la mesure du possible, d’intégrer les gens vivant aux alentours à la narration. Cela a contribué à créer cette ambiance assez surréaliste. Une de mes scènes préférées dans le film est celle de la station service, où une femme danse avec Bully.  En fait, c’était la seule station à des kilomètres à la ronde et on y vendait probablement autre chose sous le manteau, car les gens qui ne pouvaient pas y accéder commençaient à devenir nerveux autour de nous. A un certain point, on sentait cette tension monter si bien qu’on a décidé de les laisser rentrer dans le champ pour voir ce qui arrivait. Et les acteurs étaient tellement bons, qu’ils ont réussi en improvisant à sortir ces gens de Détroit et à les amener dans Lost River. C’est là qu’on a commencé  à avoir cette impression que les acteurs travaillaient sans filet. Quelque part, c’était même plutôt dangereux parce qu’on ne savait pas qui étaient ces gens ni ce qu’ils voulaient, mais ils étaient tellement charismatiques, et ils vivaient pour de vrai dans cet univers irréel. C’est à ce moment là que le film a développé sa véritable identité car il a réellement entremêlé la fiction et la réalité dans le sens ou nous l’entendions.

 

Lost River rappelle aussi le film « The saddest music in the world » du réalisateur canadien Guy Maddin, qui se déroule dans les années 30, à un autre moment où l’économie s’écroulait, en entraînant les gens avec elle, et où l’on retrouve d’ailleurs des endroits où les gens vont pour oublier leurs soucis. Avez-vous vu ce film ?  Et peut-on dire que de même que certains films sont portés par les personnages ou par l’action, Lost River est portée par le lieu ?

Ryan Gosling : J’ai effectivement vu «The saddest music in the world », c’est un bon film, et canadien, en plus ! – rires - Concernant la ville que nous filmions, elle est peu à peu devenu un monde à part entière, bien au-delà de Détroit, c’est pourquoi nous l’avons renommée Lost River. Comme vous l’avez souligné tout à l’heure, c’est elle la demoiselle en détresse, et c’est ce lieu qui est au cœur du film, avec ces gens dont la vie tombe en morceaux, et qui essayent malgré tout de maintenir leur famille soudée.

 

Quel regard en tant que réalisateur, portez-vous sur le cinéma indépendant américain ? Est-ce que c’est important pour vous le défendre au travers de Lost River ?

Ryan Gosling : J’aime beaucoup le cinéma indépendant, car un de mes premiers films en tant qu’acteur a été Danny Balint, l’histoire d’un adolescent juif néonazi. C’était une expérience incroyable, parce que nous étions une toute petite équipe, pour raconter une histoire étrange. Ce film était un vrai défi, car nous savions qu’il n’était pas du tout destiné au grand public et c’était totalement assumé. Nous voulions simplement raconter cette histoire et nous l’avons ensuite amenée à des festivals pour qu’il trouve son public. Après Danny Balint, j’ai voulu tourner dans de plus gros films mais c’était très différent. Je crois que parce que j’ai commencé dans ces conditions, c’est quelque chose que j’aspire à retrouver. C’est sympathique de faire des gros films, mais il y a toujours une part de nostalgie qui me pousse à vouloir revenir à ce genre de film indépendant, à l’esprit presque étudiant, où l’on peut expérimenter de nouvelles choses.

 

Reda, comment s’est passé votre expérience avec le cinéma indépendant américain ? Est-ce vraiment différent du cinéma d’auteur français, et comment l’avez- vous  vécu en tant qu’acteur ?

Reda Kateb : Il y a plein de manières de faire du cinéma, en France, aux Etats-Unis et, j’imagine, dans plein de pays dans lesquels je n’ai jamais tourné, et il y a plein de manières de faire du cinéma indépendant. Celle que je préfère, c’est celle dont je vous parlais tout à l’heure, c’est de se glisser dans des lieux, de choisir des endroits, et de raconter nos histoires avec les gens qui y vivent, avec les endroits qu’on traverse. Tout cela, l’ai complètement trouvé sur Lost River, mais je serais absolument  incapable de faire des généralités sur le cinéma indépendant, si ce n’est en disant qu’on y a une liberté particulière.

 

 

 

Comment avez-vous ressenti la direction artistique de Ryan, comment se passe un tournage avec lui ?

Reda Kateb : J’ai entendu dire quelque part que diriger c’était être aussi acteur, car on donne l’impression que tout se passe bien, alors qu’il y a toujours un problème à gérer. Et c’est vrai que Ryan avait l’air extrêmement détendu, et qu’il communiquait donc une énergie particulière aux acteurs mais aussi à l’équipe technique, ce qui crée une sorte de cercle autour de la caméra qui ne film pas uniquement ce qui est dans le champ. Je pense qu’en tant qu’acteur, Ryan est sensible au fait que l’on joue mieux quand il y a une atmosphère propice. Plutôt que d’être un marionnettiste, un peu à distance de vous, il est dans le cercle, il est actif physiquement et  il cherche les choses avec vous tout en vous laissant les créer. Je viens de finir de diriger un court métrage, et j’ai essayé de retrouver ce quelque chose qui m’avait marqué chez lui dans sa manière de travailler, et surtout que les gens aient du plaisir à être là, ça compte aussi.

 

Ryan, pourriez-vous nous expliquer d’où vient cette idée de la cité engloutie ?  

Ryan Gosling : Quand j’étais gamin, il y avait une rivière près de chez moi où j’allais me baigner. Un jour, j’ai découvert une route qui disparaissait sous l’eau, comme Bones dans le film. On m’a alors expliqué qu’il y avait eu plusieurs villes noyées pour agrandir la rivière, et cela m’a terrifié, parce que j’ai réalisé que là où je nageais se trouvait ruines d’une ville. Ça m’a tellement choqué que je n’ai plus voulu me baigner pendant un bout de temps, parce que je savais d’où venait l’eau. Et quand j’ai commencé à filmer, un peu au hasard, ces maisons de Détroit,  j’ai pensé à des sortes d’épaves au fond de l’eau, un peu comme les images du Titanic qui laissent paraître la carcasse, et je me suis souvenu de cette histoire. C’est là que les images de mon enfance se sont mêlées avec celles de l’a ville que j’étais en train de filmer.

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