Fukushima-récit-d-un-desastre-michaël ferrierDe Michaël Ferrier

Aux éditions Gallimard

 

On peut très bien vivre dans des zones contaminées : c'est ce que nous assurent les partisans du nucléaire. Pas tout à fait comme avant, certes. Mais quand même. La demi-vie. Une certaine fraction des élites dirigeantes - avec la complicité ou l'indifférence des autres - est en train d'imposer, de manière si évidente qu'elle en devient aveuglante, une entreprise de domestication comme on en a rarement vu depuis l'avènement de l'humanité.

 

 

Moins de 5 pages. Voilà ce qu'il a fallu à cet auteur, avant même de rentrer dans le coeur du sujet, pour nous happer. Le chapitre consacré au premier sismographe en guise d'introduction m'a tellement plu que j'en ai fait la lecture à Monsieur Lalune qui m'a aussitôt demandé de le lui prêter ensuite. C'est un tour de force en soi, car il est extrêmement rare que nous partagions nos lectures, a fortiori lorsque le livre est à peine entamé !

L'écriture est vraiment impressionnante, racontant l'indicible avec un style remarquable, un peu comme ces photos dont le sujet est horrible mais qui sont magnifiques tant elles sont fortes. Sans nous tenir à distance, cette belle écriture permet à l'auteur de témoigner, d'analyser tout en refusant le sensationnel facile.

Si la majorité de l'ouvrage est constituée de son témoignage et prend parfois un ton philosophique, les derniers chapitres sont plus journalistiques dans leur manière de dénoncer, preuves à l'appui, les causes humaines qui ont conduit à cette catastrophe. L'auteur, que l'on sent révolté, décortique le sentiment de terreur et la façon dont les gens finissent par accepter l'inacceptable. Très instructif, assez cynique, et d'autant plus fort que son écriture est belle.

Enfin, malgré le fait que la quatrième couverture soit déjà un extrait,  je ne résiste pas, au bout de cet article, à l'envie de vous proposer ce qui m'a paru être l'un des plus beaux passages de cet ouvrage, lorsque l'auteur raconte les effets du tremblement de terre du 9 mars 2011 sur sa bibliothèque...

La note tout à fait subjective et qui n'engage que moi : 5/5

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Mais c'est aux arêtes de la bibliothèque que le séisme atteint son paroxysme. Il court le long des tablettes, se glisse entre les rayons et décapite un à un les livres au sommet de l’étagère, où se trouve disposée la poésie française avec un crépitement de mitraillettes. Saint-John Perse tombe le premier. “S’en aller ! S’en aller ! Paroles de vivant !” Celui qui peint l’amer au front des plus hauts caps, qui marque d’une croix blanche la face des récits, ne résiste pas plus de quelques secondes à la bourrasque : le Saint-Leger Leger s’envole. Vigny le suit de près, et Lamartine, et même Rimbaud, qui prend la tangente sur sa jambe unique avec un facilité déconcertante, poursuivi par Verlaine et ses sanglots longs. Leconte de Lisle s’impatiente et vient bientôt les rejoindre puis, pêle-mêle, Laforgue et Louise Labé… Le grand Hugo hésite, tergiverse, il grogne de toute la puissance de ses œuvres complètes et puis il s’écrase au sol dans un fracas énorme. Aimé Césaire, lui, tombe avec élégance et majesté. Nerval chevauche René Char, Claudel monte sur Villon, Villon sur Apollinaire. Enfin, Malherbe vient, et entraîne à sa suite toute la Pléiade... Ronsard, Du Bellay, Belleau, Jodelle...

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