rosa-candida olafsdottirD'Audur Ava Ólafsdóttir

aux éditions Zulma

 

Le jeune Arnljotur va quitter la maison, son frère jumeau autiste, son vieux père octogénaire, et les paysages crépusculaires de laves couvertes de lichens. Sa mère a eu un accident de voiture. Mourante dans le tas de ferraille, elle a trouvé la force de téléphoner aux siens et de donner quelques tranquilles recommandations à son fils qui aura écouté sans s’en rendre compte les dernières paroles d’une mère adorée. Un lien les unissait : le jardin et la serre où elle cultivait une variété rare de Rosa candida à huit pétales. C’est là qu’Arnljotur aura aimé Anna, une amie d’un ami, un petit bout de nuit, et l’aura mise innocemment enceinte. En route pour une ancienne roseraie du continent, avec dans ses bagages deux ou trois boutures de Rosa candida, Arnljotur part sans le savoir à la rencontre d’Anna et de sa petite fille, là-bas, dans un autre éden, oublié du monde et gardé par un moine cinéphile. 

 

Voici un livre difficile à chroniquer, et encore à l'heure où j'écris ces lignes, je ne suis pas encore tout à fait sûre de ce que je vais bien pouvoir en dire.

Enfin, si, j'ai bien quelques éléments : des thèmes, des symboles, des métaphores, mais je n'arrive pas encore à les assembler en quelque chose de cohérent. Tout d'abord, il s'agit de mon premier ouvrage Islandais, ce qui mérite d'être souligné. Avant cet ouvrage, l'Islande, était surtout pour moi le pays qui a vu naître Björk, aussi inclassable que l'on peut l'être, des volcans et des glaciers aux noms imprononçables qui empêchent les autres européens de partir en vacances. Maintenant, je peux ajouter cet ouvrage à ces clichés.

Je sens confusément que j'aurais dû l'adorer ou le détester, et en fournir une approche mitigée, presque banale, ne me satisfait pas pour autant, car ce livre est tout, sauf banal...

Essayons de procéder avec méthode. Ce n'est certes ni très spontané ni très sympathique voire un peu scolaire mais c'est tout ce que j'ai trouvé pour aller au bout de cet article.

Commençons donc par le thème : la croissance des plantes comme métaphore du temps qui passe, de l'évolution d'un personnage vers l'âge adulte est, vous en en conviendrez, assez banale. Le symbole de la naissance d'une être à la date anniversaire du décès d'une autre, n'est pas non plus quelque chose de très original. Le frère jumeau comme miroir d'un état intérieur, l'enfant comme image du miracle de la vie, le voyage comme voie initiatique vers l'âge adulte, tous ces thèmes, et bien d'autres, encore, ont été utilisés cent fois en littérature (comme au cinéma) mais ils sont tellement bien entrelacés qu'il est difficile de parler des uns sans évoquer les autres. Et c'est bien là ma difficulté aujourd'hui : je m'aperçois que j'ai omis de parler de la mort, du corps, de cette obsession culinaire des personnages, du langage, du rapport aux parents, du cinéma, des rêves, de l'héritage physique et culturel, de la foi, d'amour, tous ces thèmes largement évoqués et qui mériteraient chacun un développement particulier. 

L'écriture, fluide et agréable, décrit avec une grande simplicité l'univers intérieur du personnage principal et ses gestes extérieurs. Révéler des choses complexes de manière simple voilà sans doute un tour de force littéraire. Néanmoins, il en est de cet ouvrage comme de certains films d'auteur européens : beau, travaillé, riche, il n'en demeure pas moins parfois un peu lent sans pour autant que l'on s'y ennuie tout à fait. Un paradoxe parmi d'autres qui participe à son intérêt.

Vous l'aurez compris je peine à dégager un sens général à l'ouvrage. C'est ce qui fait sa richesse, sa singularité, mais également son charme.

La note tout à fait subjective et qui n'engage que moi : 4/5

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Comme je vais quitter le pays et qu’il est difficile de dire quand je reviendrai, mon vieux père de soixante-dix-sept ans veut rendre notre dernier repas mémorable. Il va préparer quelque chose à partir des recettes manuscrites de maman – quelque chose qu’elle aurait pu cuisiner en pareille occasion. « J’ai pensé, dit-il, à de l’églefin pané à la poêle et ensuite une soupe au cacao avec de la crème fouettée. » Pendant que papa essaie de trouver comment s’y prendre pour la soupe au cacao, je vais chercher mon frère à son foyer dans la vieille Saab qui va sur ses dix-huit ans. Jósef m’attend depuis un moment, planté sur le trottoir et visiblement content de me voir. Il est sapé à bloc parce que c’est ma soirée d’adieu, il porte la chemise que maman lui a achetée en dernier, violette à motifs de papillons.
Pendant que papa fait revenir l’oignon alors que les morceaux de poisson attendent, tout prêts, sur leur lit de chapelure, je vais dans la serre chercher les boutures de rosier que je vais emporter. Papa m’emboîte le pas, ciseaux à la main, pour couper de la ciboulette destinée à l’églefin et Jósef, silencieux, le suit comme son ombre. Il n’entre plus dans la serre depuis qu’il a vu les débris de verre causés par la tempête de février qui a réduit en miettes beaucoup de vitres. Il reste dehors, près de la congère, et nous suit du regard. Papa et lui portent le même gilet noisette avec des losanges jaunes. «Ta mère mettait toujours de la ciboulette avec l’églefin », dit papa, tandis que je lui prends les ciseaux des mains et m’étire pour atteindre dans le coin de la serre la touffe toujours verte dont je lui tends une poignée. C’est moi le seul héritier de la serre de maman, comme papa me le rappelle régulièrement. Ce n’est pas qu’il s’agisse d’une culture de grande envergure comme trois cent cinquante pieds de tomate et cinquante plants de concombre qui se transmettraient de mère en fils ; il ne s’agit en fait que de roses qui poussent toutes seules, sans qu’on ait besoin de s’en occuper spécialement, et peut-être de la dizaine de plants de tomate qui restent. Papa se chargera d’arroser en mon absence. « Je n’ai jamais été porté sur les légumes, mon petit Lobbi, c’était le dada de ta mère. Moi, je pourrais tout au plus manger une tomate par semaine. À ton avis, à la récolte, ça va donner combien de fruits par plant ?
— Tâche de les donner, alors.
— Je ne peux tout de même pas frapper à tout bout de champ chez les voisins avec mes tomates.
— Et Bogga ? »
Je dis cela tout en me doutant bien que la vieille amie de maman doit avoir les mêmes goûts que papa.
«Tu ne veux tout de même pas que j’aille toutes les semaines rendre visite à Bogga avec trois kilos de tomates. Elle insisterait pour que je reste à dîner. » Je pressens aussitôt ce qu’il va dire ensuite.
« J’aurais voulu inviter la demoiselle et l’enfant, poursuit-il, mais va savoir si tu n’y serais pas opposé.
— Oui, j’y suis opposé. La demoiselle, comme tu dis, et moi, on n’est pas un couple et on ne l’a jamais été, même si on a un enfant ensemble. Ça a été un accident. »
J’ai déjà mis les choses au point et papa doit bien se rendre compte que l’enfant est le fruit d’un instant d’imprudence, et que ma relation avec la mère s’est limitée au quart, que dis-je, au cinquième d’une nuit.
«Ta mère n’aurait pas vu d’objection à les inviter au dernier repas. » Chaque fois que papa a besoin de donner du poids à ses paroles, il tire maman de sa tombe pour l’appeler en renfort.

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