affiche du fléau - mesure pour mesure, théâtre immersif de Léonard Matton d'après Shakespeare, au théâtre du Palais-Royal

Au domaine du Palais-Royal 
Du 10 au 27 août 2023

Une création de Léonard Matton
D'après William Shakespeare

En pleine épidémie de peste, le Duc de Vienne annonce qu’il quitte la ville et qu’il en confie les rênes à son jeune et très vertueux ministre, Angelo. En réalité, le Duc demeure et se déguise en prêtre pour, incognito, observer ce qu’il advient lorsque la loi punit la moindre incartade.

 

Il y a cinq ans, je découvrais, bouleversée, le théâtre immersif avec Helsingor, dans un lieu éphémère nommé le Secret. Une création de Léonard Matton, d'après Hamlet de Shakespeare. Un spectacle auquel j'ai eu la chance de pouvoir assister à nouveau en 2021 lorsqu'il s'est donné au château de Vincennes. Une expérience entièrement différente : moins intimiste, mais plus grandiose. Tout aussi fantastique ! 

Autant vous dire que lorsqu'on m'annonce que ce même auteur et metteur en scène adapte à nouveau Shakespeare pour le spectacle immersif, qui plus est dans les cours du Palais-Royal, mon petit cœur de théâtreuse a bondi. 

Le fléau - mesure pour mesure, théâtre immersif de Léonard Matton d'après Shakespeare, au théâtre du Palais-Royal

Me voici donc le soir de la première, aux portes du Palais-Royal. Comme souvent dans les spectacles immersifs, le portable est consigné à l'entrée. Je remets le mien de bonne grâce, en échange d'un masque argenté que l'on m'enjoint de porter. Je pénètre alors dans la cour d'honneur, encore ensoleillée à cette heure. C'est une sensation étrange dans notre monde moderne que de se retrouver sans portable et sans compagnie pour combler un temps d'attente quelconque. Que faire des 25 minutes qui me séparent du début du spectacle ? 

Je m'assois sur l'une des colonnes de Buren, et commence à regarder autour de moi : des spectateurs, en groupe, quelques comédiens que je reconnais pour les avoir vus sur scène, et plus discrètement, quelques personnages du Fléau, en costumes, qui arpentent les allées. 

Cela est bien charmant, mais au bout de 10 minutes, n'y tenant plus, je cherche désespérément quelque chose à faire. Je me rappelle alors que j'ai dans mon sac un monologue à finir d'apprendre pour une prochaine audition. Sans distraction aucune, je mémorise presque sans effort une douzaine d'alexandrins supplémentaires.

Alors que je médite sur mon incapacité à me ménager des moments de calme pareils par moi-même, je remarque du coin de l'œil un homme en habit doré qui s'approche de moi. Il m'indique qu'il est le maire de la ville et me montre un parchemin qu'il tient à la main, désignant de l'autre ma feuille de texte annotée : "Moi aussi je dois faire une déclaration" me dit-il. Quelques minutes plus tard, un autre personnage me demande de choisir au hasard une carte de tarot : je tire l'arcane du Jugement. Il hoche la tête "c'est bon signe". Mêlant un instant fiction et réalité, mon cœur même en conçut un bienheureux augure. 

C'est alors que, rassemblant les spectateurs au centre de la cour, le bourreau nous rappelle les consignes de sécurité. Nous sommes visiteurs dans une ville où la maladie court : il est donc prudent d'éviter de toucher les gens, et même de leur parler. Nos déplacements, quant à eux, ne sont pas limités, nous sommes donc invités à aller partout où bon nous semble. Mais pour commencer, des gardes vont nous mener à l'endroit où notre cheminement doit débuter : la couleur de notre masque sera notre guide. 

Je me retrouve donc à l'extérieur d'une chambre où deux tourtereaux roucoulent. Leurs amours sont rapidement interrompues par l'irruption de gardes qui arrêtent Claudio, coupable d'avoir consommé un peu trop tôt un mariage non encore célébré, avec sa fiancée Juliette. Celle-ci porte d'ailleurs dans son ventre arrondi la preuve de ces amours, librement consenties. Mais en l'absence temporaire du Duc de Vienne, le vertueux ministre Angelo, intransigeant dépositaire du pouvoir ducal, a bien l'intention de faire respecter les lois : ce péché de fornication sera condamné avec la plus extrême sévérité, et Claudio sera exécuté.

Le fléau - mesure pour mesure, théâtre immersif de Léonard Matton d'après Shakespeare, au théâtre du Palais-Royal, Drys Penthier et Justine Marçais

Claudio fait alors appel à sa sœur, Isabelle, sur le point de prononcer ses vœux pour devenir religieuse. Il espère que sa vertu, son opiniâtreté et son éloquence sauront fléchir la sévérité d'Angelo. Or, comme frappé par la foudre, ce dernier, pourtant reconnu pour sa droiture, se découvre soudain empli d'un coupable désir pour la jeune novice. Il lui propose alors un odieux marché pour sauver son frère : une nuit contre une vie.  

Une histoire dont je ne vous révèlerai pas le dénouement, mais dont il m'a fallu, comme à tous les spectateurs présents, rassembler les morceaux épars. Une expérience encore très différente des autres représentations immersives que j'ai vues auparavant. 

Tout d'abord, l'espace des deux cours du Palais-Royal, entièrement ouvert, est dépourvu de pièces. Les différents lieux sont représentés de façon succincte : quelques barreaux, un prie-Dieu, un escabeau, parfois rien. Dans une acoustique résonnante, rien n'empêche les sons de se mêler, parfois d'un bout à l'autre de la cour. Cela donne une conscience immédiate de la simultanéité des actions : l'annonce d'un décès peut se traduire par des cris de douleurs poussés par plusieurs personnages, à des endroits différents. 

De fait, la déambulation du spectateur est très différente, presque simplifiée : au Secret, ou à Vincennes - si l'on compare à Helsingor par exemple -  une fois dans une pièce, il fallait vraiment décider d'aller voir ce qui se passait ailleurs, ou suivre un personnage. D'une certaine manière, le spectateur devait être plus volontaire dans sa déambulation. Au Palais-Royal, on voit finalement un peu tout ce qui se passe partout, et s'il est plus difficile de s'immerger dans une scène en particulier - avec un texte parfois plus difficile à entendre - le procédé favorise en revanche l'immersion plus globale dans le déroulement de l'action. 

De mon côté, j'ai tendance par exemple à vouloir aller à contre-courant, et je suis plutôt attirée par ce qui se passe quand un personnage est seul, et non lorsqu'il est entouré de spectateurs. Intimidant et fascinant à la fois, avec d'un côté la conscience aigüe d'être là, comme un intrus, et de l'autre l'impression de surprendre l'intimité d'un personnage lorsqu'il soliloque par exemple. 

Le fléau - mesure pour mesure, théâtre immersif de Léonard Matton d'après Shakespeare, au théâtre du Palais-Royal, Mathias Marty

Qu'en est-il de la compréhension de l'action dans une œuvre divisée de façon si particulière ? C'est un point sur lequel je m'interrogeais avec Hamlet / Helsingor, puisque je connaissais la pièce, et que je n'ai donc eu aucun mal à comprendre l'action, même morcelée. Avec Le Fléau - Mesure pour mesure - même en déambulant beaucoup, en ne voyant que rarement l'intégralité d'une scène et sans réellement suivre aucun personnage, j'ai compris l'essentiel de l'intrigue. Signe de la qualité d'une adaptation pour un spectacle immersif, probablement, et sans doute aussi une des conséquence de cette mise en scène dans un espace ouvert. La scène du dénouement final récapitule également beaucoup de choses, et aide le spectateur à donner du sens à certaines scènes qu'il a vécues de façon éparse. 

Ajoutez à cela une musique, interprétée en direct, qui, envoûtante, vous enveloppe comme dans un rêve, et vous comprendrez pourquoi, une fois de plus, ce spectacle m'a enthousiasmé. Certes, il n'y a peut être pas dans le texte d'origine Mesure sur Mesure - placé parmi les pièces "inclassables" de Shakespeare - toute la tragédie et la philosophie d'un Hamlet. N'y recherchez simplement pas la même teneur : si le Fléau oscille sans cesse entre le drame poignant et la comédie grivoise, c'est bien parce qu'il reste fidèle à l'esprit de Shakespeare, chez qui les idées les plus nobles de l'homme ne sont jamais loin des plus primaires. 

Absence de décors - autre que l'architecture majestueuse du Palais-Royal - quasi absence de lumière artificielle - il fait encore jour - le lieu lui-même impose un certain dépouillement dans la scénographie, qui résulte en une forme de crudité : la violence de la peur, du désir, du repentir, de la douleur prennent une dimension toute différente quand vous êtes à quelques pas du personnage qui en fait l'expérience, sans aucun artifice théâtral. C'est puissant, souvent même profondément troublant et cela demande des comédiens un abandon total. 

Lorsque les applaudissements se sont tus, et que les autres spectateurs se sont dirigés vers l'accueil pour récupérer leur téléphone, je me suis rassise sur la colonne où j'avais attendu le début du spectacle. J'y attendrais aussi bien mon tour qu'en bout de file. La nuit tombée, le Palais-Royal illuminé prenait une autre dimension. Sans impatience ni ennui, encore flottant dans l'atmosphère de la représentation terminée, j'ai attendu et juste fait l'expérience de ce qui s'offrait à moi : la beauté de l'architecture, la brise fraîche du début de la nuit, le bourdonnement lointain des voitures. Il est des spectacles qui vous transportent ailleurs, hors du quotidien, presque hors de vous-même. Tout comme HelsingorLe Fléau est de ceux-ci.

 

La note tout à fait subjective et qui n'engage que moi  5/5

Avec Roch-Antoine Albaladéjo​, Thalie Amossé​, Jean-Baptiste Barbier-Arribe,  Dominique Bastien, Maxime Chartier,  Zazie Delem , Camille Delpech, Marjorie Dubus , Thomas Gendronneau, Jean-Loup Horwitz, Laurent Labruyère, David Legras ​ Justine Marçais, ​ Mathias Marty, Drys Penthier , Jacques Poix-Terrier, Jérôme Ragon

 

ACHETER 
Couverture de la pièce Mesure pour Mesure de Shakespeare qui a inspiré le Fléau théâtre immersif de Léonard Matton
Mesure pour mesure - la pièce de Shakespeare qui a inspiré Le Fléau
couverture avant-scène théâtre texte Helsingor château d'Hamlet de Léonard Matton adapté de Shakespeare
Helsingor - château d'Hamlet - le texte paru chez l'Avant-scène théâtre

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