Au Petit Palais

Du 14 avril au 27 août 2023

Dans le monde du théâtre, peu de noms ont un écho aussi évocateur que celui de Sarah Bernhardt. "La Divine" a su, de son vivant, se bâtir une carrière sans pareille, à force d'un travail incessant, d'une mise en scène de son propre personnage, et d'une personnalité bien trempée. 

Le titre de cette exposition Sarah Bernhardt, et la femme créa la star met d'ailleurs en valeur cette idée de construction qui, dès le départ, accueille le spectateur : d'un côté, les photographies les plus emblématiques de Sarah, de l'autre, la lettre d'un de ses amis décrivant les journées de travail sans fin d'une artiste dont le perfectionnisme s'applique à tous les domaines... y compris à l'art de l'autopromotion !  

L'exposition commence donc par le commencement. Issue d'une lignée de "grandes horizontales" - office qu'elle exercera, un temps - Sarah montre dès l'enfance un caractère réfractaire à l'autorité et indépendant, qui préfigure ses prises de position : cette femme ne se laissera rien interdire.

C'est Alexandre Dumas, qui fréquente le salon demi-mondain que tient sa mère, qui emmènera la jeune femme pour la première fois au théâtre, soirée dont elle sortira bouleversée. C'est le Duc de Morny, un autre habitué de ce salon - si régulier que certaines rumeurs l'ont, un temps, soupçonné d'être son père - qui payera ses cours de théâtre.

Quelques années plus tard, Sarah entre à la Comédie française. Elle en est renvoyée au bout de quatre ans seulement pour avoir, dans un accès de colère, giflé une sociétaire qui avait violemment bousculé sa sœur.

Puis, à l'occasion d'une représentation de Ruy Blas de Victor Hugo, dans le rôle de la reine, son succès est tel que l'écrivain, bouleversé par son interprétation, lui offre un diamant avec ces mots : "cette larme que vous avez fait couler est à vous. Permettez-moi de vous l'offrir".

Engagée à nouveau par la Comédie Française, Sarah gagne le surnom de "Mademoiselle Révolte". Après l'échec d'une pièce qu'elle jugeait médiocre et dans laquelle elle participait contre son gré, la comédienne démissionne à grand fracas, sans oublier d'envoyer une copie de sa lettre de démission à la presse. 

Après avoir évoqué les débuts aussi brillants que mouvementés de la comédienne, l'exposition s'intéresse ensuite à la relation de Sarah avec les artistes, ainsi qu'à sa propre pratique artistique en dehors du théâtre : je la découvre sculptrice, peintre, écrivaine, et talentueuse dans tous ces domaines à la fois, qui plus est ! 

C'est également le moment d'entrevoir la façon dont l'actrice commence à façonner son image publique. À ce titre, les deux portraits d'elle, réalisés à quelques années d'intervalle par son amant - puis ami fidèle - le peintre Georges Clairin sont particulièrement intéressants : on y retrouve en miroir, la même position, avec une taille fine, mise en valeur sous une cascade ondoyante de tissus. Entres ces deux portraits, on sent l'image publique se préciser. 

Sa silhouette longiligne -  que d'aucuns n'hésitent pas à qualifier de maigreur, à une époque ou la mode est aux femmes plus en chair - sera l'une des caractéristiques indissociables de l'image de l'actrice, jusque dans les caricatures et les chansons satiriques qui la prendront pour cible. 

Un peu plus loin dans l'exposition, c'est l'occasion de découvrir le goût éclectique de l'actrice pour le bizarre et l'exotisme, au travers d'objets et de décors issus de ses appartements successifs. Un goût personnel qui s'inscrit toutefois dans une mode plus largement partagée chez les artistes à la fin du XIXe siècle. 

Mais la partie la plus spectaculaire - et sans doute la plus attendue -  de l'exposition est celle évoquant les rôles les plus célèbres de Sarah Bernhardt, et leur illustration par Mucha. Ce n'est d'ailleurs sans doute pas un hasard si une exposition consacrée à l'artiste tchèque se tient en ce moment même au grand palais immersif, faisant la part belle aux affiches qu'il a réalisées pour elle.

Une rencontre qui se jouera sur coup de téléphone inattendu : un soir de Noël 1894, Mucha se trouve par hasard chez l'imprimeur qu'appelle Sarah en urgence pour demander une nouvelle affiche. Or, tous ses dessinateurs sont en congé pour les fêtes. Mais impossible de dire non à la Divine. Il donne donc sa chance à ce jeune artiste qu'il a sous la main. Sarah est immédiatement conquise par son style novateur : c'est le début d'une collaboration iconique. 

Cette partie de l'exposition est  également l'occasion d'admirer les costumes et les bijoux portés par la comédienne. Les habits brodés de fils dorés, de perles et de cristaux de Théodora, ou encore les spectaculaires plastrons et couronnes de Cléopâtre, autant de merveilles qu'on rêverait de porter sur scène. 

Il est peu de dire que cette salle m'a émue. Il y a quelque chose de presque mystique pour moi  à approcher des costumes de scène : c'est en les endossant que les comédiens et comédiennes deviennent, qu'ils incarnent, qu'ils nous font rêver. Et à ce titre, ces objets exercent sur moi une fascination sans doute quelque peu déraisonnable, mais indéniable. 

Quelques dessins de décors évoquent également une époque où le théâtre était un art "à grand spectacle". Une conception souvent vue comme un peu passéiste aujourd'hui, mais à laquelle, à titre personnel, je suis très attachée. J'aime l'idée d'un émerveillement instantané au lever de rideau, d'immerger le public dans un univers à part, presque merveilleux, où un personnage couvert d'or, si loin de notre vie quotidienne, éprouve pourtant des sentiments communs à toute l'humanité.

On peut faire des merveilles avec des costumes contemporains aussi, et les décors ne suffisent pas à faire un bon spectacle, bien entendu, mais c'est une préférence dont je ne me défais pas. 

La suite du parcours nous emmène à la suite d'une comédienne au sommet de sa gloire. Star mondialement connue, elle s'affiche partout : sur les publicités, en carte postale, imitée, caricaturée, figure immédiatement reconnaissable, omniprésente dans la culture collective de l'époque. 

C'est l'occasion également de revenir sur ses innombrables voyages et tournées internationales. A titre d'exemple, sa grande tournée américaine de 1880-1881 l'emmène dans plus de 50 villes, où elle donne 156 représentations. Quelle autre que la Divine pour aller déclamer Racine devant un public de spectateurs qui, pour la plupart, ne comprennent pas le français ? Un public qui l'accueille partout en star, attiré par la curiosité de la voir "mourir" sur scène, spécialité qui avait fait sa réputation. 

La dernière partie de l'exposition est consacrée à son soutien à Zola lors de l'affaire Dreyfus et à son engagement patriotique pendant la seconde guerre mondiale, mais également à ses dernières sculptures, dans son havre de paix, à Belle-île-en mer. Elle y effectuera ces très surprenantes algues. 

En sortant de l'exposition, vous pourrez également vous faire tirer le portrait en Sarah Bernhardt, votre visage remplaçant le sien dans l'une de ses photos les plus célèbres. Le genre de souvenir sympathique, mais attention, ça ne va pas à tout le monde ! 

Vous l'aurez compris, j'ai beaucoup aimé cette exposition consacrée à cette comédienne hors-norme. Une femme fascinante et une artiste inspirante, qui, au-delà du mythe, nous confirme encore et toujours, s'il était besoin, que le talent n'est rien, sans travail.  

La note tout à fait subjective et qui n'engage que moi  5/5

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Bande dessinée Divine - Vie(s) de Sarah Bernhardt
Catalogue de l'exposition
Dans les nuages - Récit de Sarah Bernhardt
Beaux-Arts Magazine consacré à l'exposition

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