monde-a-l-endroit-ron rashDe Ron Rash

aux éditions du Seuil

Travis Shelton, 17 ans, découvre un champ de cannabis en allant pêcher la truite au pied de Divide Mountain, dans les Appalaches. C'est un jeu d'enfant d'embarquer quelques plants sur son pick-up. Trois récoltes scélérates plus tard, Travis est surpris par le propriétaire, Toomey, qui lui sectionne le tendon d'Achille, histoire de lui donner une leçon.

Mais ce ne sera pas la seule de cet été-là: en conflit ouvert avec son père, cultivateur de tabac intransigeant, Travis trouve refuge dans le mobile home de Leonard, un prof déchu devenu dealer. L'occasion pour lui de découvrir les lourds secrets qui pèsent sur la communauté de Shelton Laurel depuis un massacre perpétré pendant la guerre de Sécession. Confronté aux ombres troubles du passé, Travis devra également affronter les épreuves du présent.

Voici un roman difficile à cerner où les personnages n’ont finalement aucune prise sur leur destin. Sombre, désespéré, foncièrement pessimiste, il semble faire du déterminisme la seule loi qui régisse les hommes.

Les personnages qui animent ce récit sont ancrés dans la terre qui les a vus naître, dont ils sont les prisonniers : ils en ressassent l’histoire et y font pousser leur gagne-pain. Cette histoire de l’Amérique profonde, avec sa violence physique et sociale, fait abstraction de la volonté individuelle et réduit les hommes à deux catégories : ceux qui ont admis leur existence telle quelle est, et ceux qui se débattent encore, en vain, à l’image de ces truites que le jeune Travis aime à pêcher, mais qui se laissent prendre trop facilement.

Dans ce contexte, quelques personnages cabossés arrivent toutefois à tisser des liens imparfaits, mais qui sont mieux que rien. On y découvre Travis, jeune homme sur la mauvaise pente qui va être recueilli par Leonard, ancien enseignant respecté et désormais dealer, qui vit dans une caravane délabrée. A ce tableau s’ajoute Dena, jeune femme toxicomane et compagne de Leonard, que Zola n’aurait sans doute pas dédaigné en son temps. Entre Travis et Leonard s’installe peu à peu une relation de confiance, et une échappatoire semble soudain possible. Mais les quelques lueurs d’humanité et de générosité qui pointent dans ce récit ne seront d’aucune utilité aux personnages : la rage et la frustration qui couvent s’avèrent plus fortes.

Un roman que je n’ai pas trouvé exceptionnel, mais qui pour moi est intéressant car fondamentalement américain. Un roman où l’homme s’accommode de ses chaînes au point de ne supporter que d’autres s’en affranchissent. Un roman enfin, où les destins individuels se fondent dans celui, plus vaste, de la terre qui les a vus naître, puis mourir.

La note tout à fait subjective et qui n'engage que moi : 3/5

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Il parvint à l’endroit où le ruisseau formait une fourche et c’est là qu’il aperçut un brusque et haut verdoiement à quelques mètres au-dessus de lui, sur la gauche. Il sortit de l’eau et gravit la berge pour vérifier que c’était bien ce qu’il croyait. Les plantes étaient tuteurées comme des tomates et piquées en rang comme du tabac ou du maïs. Elles valaient du fric, beaucoup de fric, parce que Travis savait combien payait son copain Shank pour trente grammes d’herbe de bonne qualité, et là il ne s’agissait pas de grammes mais quasiment de kilos. Il entendit quelque chose derrière lui et se retourna, prêt à lâcher sa canne et à décamper en vitesse. De l’autre côté du ruisseau, un écureuil gris fila le long de l’écorce épaisse d’un chêne noir.

Travis se dit qu’il n’y avait pas de raison d’avoir les jambes en coton, que personne n’avait dû le voir remonter le ruisseau. Il laissa son regard se promener sur ce qu’il y avait derrière les plantes. Une resserre à bois dissimulait la marijuana aux yeux de quiconque se trouvait à la ferme ou sur le chemin de terre qui venait se perdre au pied des marches de la galerie. Des peaux de bêtes s’étalaient à mi-hauteur sur les planches virant au gris de la resserre. Raton laveur et renard, au milieu un ours, leurs membres déployés comme si même dans la mort ils tentaient toujours de s’enfuir. Cloués là en guise d’avertissement, songea Travis.

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