Avis expo : L'épopée du canal de Suez

Il y a de cela dix ans, presque dans une autre vie, me semble-t-il, j'ai eu l'occasion de passer le Canal de Suez en bateau. Naviguer au petit matin sur cette bande d'eau au milieu du désert, et voir les autres navires du convoi "flotter" au dessus du sable reste une des expériences les plus marquantes qu'il m'ait été donnée de vivre. 

Aussi, lorsqu'on m'a proposé d'aller voir la toute nouvelle exposition de l'Institut du monde Arabe, consacrée à ce fameux canal, c'est avec enthousiasme que j'ai accepté. L'occasion, au-delà du souvenir, de se replonger dans l'histoire de cet ouvrage technique exceptionnel. 

L'exposition plonge tout d'abord le visiteur dans l'ambiance de l'inauguration en grande pompe du canal, le 17 novembre 1869. Un événement politiquement sensible : la construction ayant été confiée par le vice-roi égyptien à un ingénieur français - Ferdinand de Lesseps - et soutenue par Napoléon III, les britanniques craignent l'influence française ne devienne trop grande dans cette région du monde. Or, la zone, au milieu des routes la reliant à l'Inde et au reste de son empire, est éminemment stratégique pour la Grande-Bretagne. 

En conséquence, la reine Victoria n'assistera pas à l'événement, pas plus que Napoléon III, souffrant. La France sera donc représentée par l'impératrice Eugénie, dont l'exposition présente le portrait - entre autres objets et représentations - ainsi qu'une peinture la montrant en excursion à dos de chameau. Le visiteur pourra en outre découvrir la robe portée à cette occasion par la souveraine, conçue spécialement pour répondre aux exigences de la décence, tout en lui permettant de supporter la chaleur du désert égyptien. 

L'exposition remonte ensuite le temps pour revenir aux origines, car l'histoire du canal est bien plus ancienne : tout commence au 19e siècle avant notre ère, sous le pharaon Sesostris III. C'est lui, le premier, qui fit creuser le premier canal reliant le Nil à la mer rouge. Une première voie qui permet donc de relier la Méditerranée aux mers du Sud, et qui sera utilisée pendant près de 2700 ans, entre ensablements en remises en état. 

La visite se poursuit ensuite de façon chronologique, passant de la destruction du canal antique au 8e siècle, aux différents projets - initiés par les Vénitiens, puis par le sultan de Constantinople au 16e siècle - qui ne verront pas le jour. 

C'est au 19e siècle que Bonaparte - qui n'est pas encore Napoléon - demande à ses ingénieurs d'étudier la faisabilité d'un canal reliant directement la Mer Méditerranée à la Mer rouge. Il faut pourtant encore attendre les années 1850 pour que la construction débute, sous l'impulsion de Saïd Pacha, qui souhaite moderniser son pays. A sa mort, son fils, Ismaël Pacha, poursuit les travaux en faisant fi des pressions exercées par l'Angleterre. 

Les travaux sont pharaoniques et le tribut en vies humaines très lourd, notamment à cause du choléra, qui décime les ouvriers. Après des débuts laborieux, l'avancée du chantier s'accélère avec l'arrivée de nouvelles machines qui permettent le creusement et l'évacuation mécanique des déblais. Des dispositifs que l'exposition présente au travers de photos, plans et maquettes qui en soulignent l'ingéniosité autant que l'efficacité. 

Enfin, le canal est inauguré, ouvrage édifié à la gloire du progrès tout autant que symbole de l'union et de l'amitié des peuples. Hélas, cet idéal ne dure pas : avant même son achèvement, Suez devient l'objet des luttes de pouvoir et d'influence dans la région. Moins de dix ans après l'ouverture du canal, l'Angleterre réussit à en prendre le contrôle. La première guerre mondiale ne l'épargnera pas plus que la seconde.

Dans les années 1950, l'heure est au changement. Lassés de la mainmise britannique et désirant recouvrer leur souveraineté sur cet axe économiquement vital pour le pays, les égyptiens s'opposent aux britanniques et en 1956, la nationalisation du canal est décrétée par Nasser. 

L'exposition s'attache ensuite à retracer la chronologie de l'ensemble des conflits qui ont émaillé l'histoire de Suez dans la seconde moitié du 20e siècle, impliquant notamment Israël, voisin de l'Egypte. Enfin, la dernière salle est l'occasion d'évoquer la place de ce canal dans l'imaginaire populaire et les représentations que l'on peut en avoir : films, jeux de société, bandes dessinées, images populaires... 

Voici une exposition très bien construite qui ravira sans aucun doute les passionnés d'histoire. Toutefois, l'ensemble m'a semblé manquer du souffle épique que semblaient promettre le titre, et la première salle. Nulle épopée ici, donc, mais plutôt une chronologie solide illustrée de documents intéressants.

En définitive, je ne peux pas dire que j'ai trouvé l'exposition décevante à proprement parler, mais j'espérais y retrouver un peu du frisson de l'aventure que j'avais ressenti dans ce même lieu en y découvrant - par exemple -  l'exposition consacrée à l'Orient Express il y a quelques années. Le thème s'y prêtait et seul y manquait, peut-être, un certain art de conter qui fait que l'on quitte une exposition presque à regret. 

La note tout à fait subjective et qui n'engage que moi : 3/5 

ACHETER 

Le catalogue de l'exposition

Et si vous passez dans le coin, n'hésitez pas à aller faire un tour à l'Alexandrie Café, l'établissement éphémère installé sur le parvis le temps de l'exposition. Le lieu propose de quoi se restaurer, mais aussi un excellent thé à la menthe que vous pouvez accompagner de pâtisseries orientales, le tout... les pieds dans le sable !