les choix secrets Hervé BelD'Hervé Bel

aux éditions JC Lattès

 

« Il n’y a plus que la cuisine et le mari, le ciel gris derrière la mousseline des rideaux, et ce présent dont il faut bien se contenter. Ce présent est sa prison. Plus jeune, elle l’a supporté parce que, concevant l’avenir comme un espace vierge, un monde à lui tout seul, elle a cru que celui-ci prendrait un jour la place de celui-là et changerait le goût de sa vie. Mais le temps n’a fait que traverser son corps. Il est passé, la laissant là, inchangée avec sa façon d’appréhender les choses et les gens. L’avenir s’est rétréci tellement qu’il s’est confondu avec le présent et empêche désormais toute espérance de se déployer.» 

Chaque soir, Marie commence sa ronde : il faut être certain que tout est bien fermé, chaque volet, chaque fenêtre, que l’on n’a surtout pas oublié d’éteindre la lumière. Marie est une vieille femme : elle ne veut pas être dérangée. Elle veut que chaque chose soit à sa place, que chaque jour s’écoule comme la veille, sans imprévu, sans douleur, qu’elle puisse contempler tout ce que la vie lui a permis de rassembler et d’accumuler : les objets, les photos, les souvenirs. 

Aujourd’hui cette vie sans histoires lui convient. Mais, avant, elle voulait vivre, elle cherchait la passion et les drames, la souffrance, la sienne et celle des autres, de tous ceux qui l’entouraient. Elle s’est mariée, a eu deux enfants, elle a hérité de la maison de ses parents, mais a-t-elle vécu ? Et comment a-t-elle vécu ?

 

 

De la pitié et de l'agacement, voilà ce qu'inspire le personnage principal de cet ouvrage : de la pitié, car cette femme est malheureuse; de l'agacement, car ce sentiment n'a aucune réalité concrète.

Au travers d'une journée qui aurait pu être ordinaire, c'est toute sa vie que Marie voit défiler : son enfance en Indochine, son mariage, ses joies mais également ses contrariétés et ses deuils, inévitables pendants. A mesure qu'elle avance en âge, Marie s'enferme dans ses frustrations et l'image parfaite qu'elle veut donner d'elle-même. Sa vie n'est plus alors qu'un jeu des apparences où il faut sans cesse se mettre en valeur : dignité, douleurs et contrariétés, générosité même, tout sera feint pour cacher la réalité. Car Marie est avare, abusive, amère et égocentrique. Tout être qui n'aurait pour elle ni admiration ni reconnaissance perd tout intérêt. 

Si on l'écoutait,  on croirait que tout le monde s'acharne sciemment à la contrarier,  alors qu'elle serait la dévotion même. La réalité est toute autre. L'écriture, fluide, nous entraîne peu à peu dans l'esprit de cette femme dont l'éternelle insatisfaction a rongé l'existence, détruit toute possibilité de sentiment,  faisant d'elle la grotesque protagoniste d'une vie factice.

Alternant présent et souvenirs, la construction même de cet ouvrage agit comme révélateur : sans intervention directe dans le récit, l'auteur nous pousse à regarder le présent de Marie sous le prisme de ses actions passées. Le lecteur y déniche alors les contradictions, la mauvaise foi, ainsi que cette certitude : Marie est seule responsable de son malheur.

Un ouvrage à la psychologie très fine, troublant de véracité, qui montre que le bonheur n'existe pas, sinon au travers des yeux de ceux qui savent le reconnaître.

La note tout à fait subjective et qui n'engage que moi : 3,5/5

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