Avis ciné : Noces
De Stephan Streker
Zahira, belgo-pakistanaise de dix-huit ans, est très proche de chacun des membres de sa famille jusqu’au jour où on lui impose un mariage traditionnel. Ecartelée entre les exigences de ses parents, son mode de vie occidental et ses aspirations de liberté, la jeune fille compte sur l’aide de son grand frère et confident, Amir.
Après Tempête de Sable, il y a quelques semaines, voici un second film qui s'interroge sur le poids de la tradition. Zahira est issue d'une famille pakistanaise qui vit en Belgique, et mène la vie d'une fille de son âge, entre le lycée et les sorties entre amis. Et puis, elle tombe enceinte. Dès lors, la pression familiale va se faire plus pesante, et l'étau de la tradition peu à peu se refermer sur elle. Elle est contrainte d'avorter : tant que rien ne se sait hors famille, l'honneur reste sauf.
Mais pour éviter tout nouveau dérapage, ses parents entreprennent alors de la marier. Se voulant progressistes, ils lui offrent la possibilité de choisir entre trois hommes qu'ils ont soigneusement sélectionnés, et avec lesquels elle aura le droit de parler, chose inconcevable à leur époque. Zahira s'y refuse. Et plus elle se débat, plus la pression s'intensifie, inexorablement.
Ce qui frappe, ici, c'est à quel point l'amour viscéral entre les membres de cette famille n'empêche pas les pressions internes. Mieux, c'est cet amour qui finit par forcer chacun à garder la place assignée par la tradition. Un quelconque manquement à cette dernière jetterait l'opprobre sur toute la famille, qui perdrait la face devant toute la communauté, et en serait exclue. Comment être libre quand le malheur de toute une famille peut découler de la moindre incartade ? Du refus de se marier à un homme imposé ? Quand le choc pourrait être fatal à un père ou une mère à la santé fragile ? Quand ce geste pourrait interdire à un frère et à une soeur le droit de fonder un jour une famille ? Peut-on être heureux en brisant sa propre famille, et en se condamnant à ne plus jamais les revoir ? Peut-on sacrifier les autres au nom de sa propre liberté ?
Entre aspirations individuelle et devoir, Stephan Streker nous plonge au coeur d'un drame qui n'est pas sans rappeler les tragédies antiques ou classiques. Et ce n'est sans doute pas un hasard si la jeune Zahira, au lycée, déclame Antigone. C'est une histoire de famille, d'honneur, de devoir, quelque chose de viscéral et d'insoluble. La relation très forte qu'entretient Zahira avec son frère, qui tente de jouer les médiateurs, est à ce titre très intéressante.
Comme dans les tragédies classiques, il n'est ici pas de personnage qui soit malveillant par essence, bien au contraire. C'est le tiraillement entre leurs aspirations personnelles, leur amour filial, paternel, fraternel, et les conventions sociales qui les poussent à agir comme ils le font. Le réalisateur fait ici le choix judicieux de ne porter aucun jugement sur les personnages, qui se débattent comme ils le peuvent chacun avec leurs raisons. Un beau film, infiniment triste, dont le dénouement fait l'effet d'un coup de poing. Et croyez-moi, je n'aime pas galvauder l'expression. Une interrogation terrible et probablement nécessaire sur les sociétés traditionnelles dans leur rapport au monde moderne.
La note tout à fait subjective et qui n'engage que moi : 4/5