Billet d'humeur : Une soirée à l'opéra - sous les huées ardentes
Il est rare que je me fende d'un billet d'humeur, mais, une fois n'étant pas coutume, je voulais vous raconter une petite anecdote lyrique et les réflexions qu'elle m'a inspirées. Vous me pardonnerez donc, je l'espère, cet article dix fois trop long pour Internet et plus sentimental que d'ordinaire.
J'étais à l'Opéra Bastille il y a quelques jours pour assister à La Traviata. un billet que j'avais acheté en février de l'an dernier sur la présence de deux artistes : Anna Netrebko et Plácido Domingo.
Une semaine avant la représentation, je reçois un mail de l'opéra m'annonçant, je cite :
Madame Anna Netrebko, souffrante, ne sera pas en mesure d'interpréter le rôle de Violetta Valéry pour les représentations de La Traviata les mercredi 21, dimanche 25 et mercredi 28 février 2018. Elle sera remplacée par Madame Marina Rebeka" |
Bien sûr, j'étais un peu déçue - c'est déjà la deuxième fois que cette artiste annule sa participation à un concert où j'espérais l'entendre - mais rien d'inhabituel dans le monde de l'opéra où les voix sont à la merci du moindre courant d'air ou microbe qui passe.
C'est donc avec une certaine surprise que je reçois un second mail, le lendemain, signé du Directeur général de l'Opéra National de Paris, Stéphane Lissner, expliquant que "Marina Rebeka [...] est une artiste internationale qui chante les premiers rôles partout dans le monde". D'emblée, je me suis dit que si le directeur montait lui-même au créneau, c'est sans doute que l'opéra avait dû recevoir des retours véhéments après le premier mail.
Tant pis pour Netrebko, il me restait Plácido Domingo.
A l'époque, rien n'aurait pu laisser penser que j'aimerais l'opéra aussi passionnément qu'aujourd'hui. Et quand, il y a 5 ans, encore sous le choc d'une production de La Fille du régiment qui fut ma révélation lyrique - quasi mystique - je me suis plongée à oreilles perdues dans le monde de l'opéra, dévorant toutes les captations de spectacles me tombant sous la main sans distinction d'époque, de compositeur ou de style.
Dès le début, Plácido Domingo a été l'un des artistes que j'ai le plus vu dans les DVD des bibliothèques que j'ai pu arpenter en quête de nourriture lyrique. Certes, il n'était pas le seul, mais il m'émouvait à tout coup, alors même que j'étais incapable de juger de la qualité du chant ou de la voix. Ce que j'aimais tout particulièrement, c'était son jeu de scène, souvent passionné, toujours juste. Un élément qui n'est certes pas l'essence de l'opéra, mais auquel j'étais et je reste encore très sensible : on n'efface pas si facilement des années de théâtre.
Avec lui, j'y croyais, malgré tous les artifices du chant, j'y croyais à fond. J'ai pleuré avec les personnages qu'il incarnait, j'ai partagé les yeux rivés sur mon écran et les oreilles grandes ouvertes, leurs prières, leurs souffrances, leurs espoirs si démesurément dramatiques et pourtant si humains.
C'est vous dire avec quelle impatience j'attendais de le voir sur scène. Un peu anxieuse, aussi : à 77 ans passés et avec un changement de tessiture - il se produit désormais en tant que baryton et non plus ténor - j'avais peur d'être un peu déçue tant la flamboyance de ses années plus jeunes m'avait marquée.
Ce fut pour moi un très beau moment d'émotion que d'entendre enfin cet immense artiste en vrai. Mais la joie de cette soirée a malheureusement été mitigée par ces huées qui se sont - fort heureusement et fort à propos - transformées en triomphe une fois le rideau tombé.
Je voue une admiration sans borne à tous les artistes qui, face à des huées, trouvent le courage de continuer à monter sur scène. Je crois qu'à leur place, je serais terrorisée, ou j'aurais un sentiment de rage et d'injustice qui m'empêcherait d'émettre le moindre son. Il faut une sacrée force de caractère pour affronter un public hostile ou déçu.
Je hais les huées qui s'adressent à un artiste souffrant affirmant pourtant sa volonté d'exercer son art, même moins en forme. Je hais les huées lorsqu'elles s'adressent à quelqu'un qui est absent : à quoi bon ? Les seuls qui les reçoivent sont ceux qui, eux, sont bien présents. Je hais les huées même lorsqu'elles s'adressent à un chanteur un peu décevant. Quiconque fréquente un peu les salles de spectacle sait différencier des applaudissements vaguement polis d'une ovation tonitruante : les artistes ne sont pas dupes, et nul n'est besoin d'y ajouter un surplus d'hostilité qui ressemble souvent davantage à une absence absolue de compassion qu'à l'expression d'une déception.
Chers artistes, continuez à nous faire rêver !