De Richard Wagner 

Au théâtre des Champs Elysées

Du 12 au 24 mai 2016

 

Direction musicale : Daniele Gatti 

Mise en scène : Pierre Audi 

 

 

 

Distribution 

Tristan : Torsten Kerl 

Isolde : Rachel Nicholls 

Brangaine : Michelle Breedt

Le roi Marc : Steven Humes 

Kourvenal : Brett Polegato 

Melot : Andrew Rees

Un berger, un jeune marin : Marc Larcher 

Un timonier : Francis Dudziak 

Orchestre national de France

Choeur de Radio France 

 

Je suis têtue. Comme un troupeau de mulets. Cela me vaut régulièrement de m'enferrer dans mes propres erreurs et d'avoir du mal à entendre les conseils. Appliqué à certains domaines, toutefois, ce défaut n'en est pas forcément un...

En ce qui concerne la musique, la littérature et l'art, plus généralement, cet entêtement m'amène régulièrement à me frotter à des oeuvres et des artistes que je n'aime pas. Ou plus exactement que je n'aime pas a priori. Car ce qui m'énerve encore plus que de ne pas aimer une oeuvre que beaucoup apprécient, c'est de ne pas pouvoir dire pourquoi. En d'autres termes, lorsque l'importance d'un artiste est plus ou moins unanimement reconnue, j'ai l'impression que ne pas l'apprécier n'est pas normal, en quelque sorte, et que ce jugement de ma part découle probablement d'une incompréhension manifeste. Alors, un beau jour, je me décide à prendre le taureau par les cornes et à en avoir le coeur net : on peut ne pas aimer un artiste, encore faut-il l'avoir assez approché pour savoir exactement pourquoi.

C'est ainsi que je me retrouve, par un bel après-midi de mai devant le théâtre des Champs-Elysées, munie d'un billet pour Tristan et Isolde. C'est la première fois que je vais voir un opéra de Wagner. Car oui, ce pauvre Richard fait partie de ces compositeurs dont j'ai du mal à saisir le génie, et particulièrement lorsqu'il s'agit d'oeuvres vocales. Autant sa musique me semble belle, puissante et mélodique, autant la ligne vocale - que les wagnériens me pardonnent par avance - m'a toujours semblée à plein volume, sans nuances et avec des harmonies presque dissonantes par rapport à celles de l'orchestre. En plus, ses opéras sont interminables - 5h30 avec deux entractes, dans le cas qui nous occupe - et, cerise sur le gâteau - ou petit pois sous le matelas - l'ensemble est en allemand ! Entendez-moi bien :  ne voyez dans mes propos nulle germanophobie primaire, je fais simplement remarquer que, n'étant pas versée dans la langue de Goethe, les opéras de Wagner me sont incompréhensibles par essence. Pire, après de belles et longues voyelles - la base de l'opéra - j'ai développé une aversion sans fondement pour les consonnes qui claquent en fin de vers, détail inutile et futile qui porte pourtant toute sa part de responsabilité dans mon rejet de l'opéra Wagnérien. 

Tout cela est bien beau, me direz-vous, mais alors, ce Tristan et Isolde

Pour mon baptême du feu, je dois avouer qu'à défaut de m'être entièrement réconciliée avec Wagner, j'ai entendu beaucoup de choses très intéressantes. Bien sûr, il y a toujours ces fichues consonnes de fin de phrases auxquelles je n'arrive pas à m'habituer, et les harmonies entre le chant et l'orchestration qui me semblent incompréhensibles. Toutefois, cette représentation a été pour moi l'occasion de lever quelques idées préconçues sur le compositeur, et de constater à quel point un Wagner reste une expérience à part entière. 

Tout d'abord, c'est long. Non pas long comme dans ennuyeux, mais long comme dans impressionnant. La performance des chanteurs est à ce titre ce qui m'a le plus étonnée : car au-delà du "coffre" qu'il faut pour chanter avec un accompagnement aussi puissant, la longueur même du spectacle devient en lui-même un défi. Et encore, quand les passages les plus intenses vocalement ne se situent pas carrément au dernier acte - après déjà plus de trois heures de spectacle... Très honnêtement, j'ai été soufflée par les prestations des chanteurs. L'occasion - deuxième préjugé - de me rendre compte qu'effectivement, tout n'est pas toujours à plein volume. J'imagine que c'est par essence le type de voix nécessaire pour chanter Wagner qui donne cette impression, mais après avoir entendu l'acte 3 et le long air de Tristan, on entend bien que c'est à ce moment-là seulement, quand l'intensité dramatique est à son paroxysme, que l'orchestre et le ténor montent vraiment le son. Cette sensation que la musique envahit toute la salle, avec une force et une puissance si énorme qu'on la ressent physiquement est une véritable expérience en soi. 

La mise en scène de Pierre Audi est extrêmement graphique, presque photographique, chose à laquelle je ne résiste pas, et les déplacements semblent d'autant plus millimétrés qu'avec la longueur des scènes, cela évite aux chanteurs d'avoir l'air d'errer sur le plateau. Avec le risque, parfois confirmé, que ces déplacements semblent mécaniques et non véritablement portés par l'émotion. Par ailleurs - mais c'est sans doute mon côté très opéra italien qui s'exprime ici - il m'a manqué le côté physique de la passion amoureuse. Car à deux exceptions près, et brèves, dans l'intégralité de cette production, Tristan et Yseult ne sont jamais en contact. J'ai du mal à imaginer la passion représentée sans que les personnages ne se prennent la main, se regardent plus intensément, ou s'étreignent. Dit comme ça, c'est un peu caricatural, mais Tristan et Isolde semblent ici se tourner le dos trop souvent, sans même partager la complicité du regard. Cette distance sur le plateau est probablement destinée à symboliser la résistance qu'ils opposent au philtre, mais elle a été pour moi une vraie barrière à l'émotion.

Seule exception, la figure du Roi Marc, qui m'a instantanément rivée à l'action. Je ne saurai vous dire exactement ce qui s'est passé musicalement, mais quelque chose, dans la voix, l'interprétation et le jeu sur scène, mais ce roi Marc a su, un moment, créer une émotion que j'ai eu du mal à déceler dans le reste du spectacle. C'est peut-être dû à la voix de basse et à la stature même du chanteur - qui dépassait tout le monde d'une tête - qui créent une présence immédiate, mais c'est le seul personnage pour lequel j'ai réellement ressenti de l'empathie. 

Vous remarquerez ici que je ne me hasarderai pas à poser une note - bien que tout à fait personnelle - comme je le fais d'ordinaire. Avec Wagner, mes repères ont été chamboulés et je ne me sens pas légitime pour mettre un chiffre sur quelque chose qui est de toutes façons trop nouveau pour moi. 

Avec Tristan et Isolde, je comptais me réconcilier avec Wagner - ou confirmer mon avis négatif sur ce compositeur. Au final, voir un opéra dans son intégralité, avec le confort du surtitrage et l'appui de la mise en scène - très important pour moi qui ai longtemps frayé avec le théâtre - m'a surtout permis de faire tomber quelques a priori. Aujourd'hui, je ne peux toujours pas dire que j'aime Wagner, mais j'ai un peu mieux compris certains éléments. J'entrevois de façon beaucoup plus claire la notion de mélodie continue, par exemple, et j'ai bien compris que non, les opéras de Wagner n'étaient pas toujours à plein volume. Honnêtement, je n'irais pas demain assister à l'intégrale de la Tétralogie, mais je me laisse le temps de digérer cette première expérience, pour peut-être y revenir, dans quelques années, lorsque mon oreille et ma culture musicale me permettront peut-être d'avancer un peu plus dans ma compréhension de ce compositeur. 

Promis, un de ces jours, je m'attaque aussi à Picasso !  

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