Avis opéra : Norma
De Vicenzo Bellini
Au théâtre des Champs Elysées
Direction musicale : Gianluca Capuano
Mise en scène : Moshe Leiser, Patrice Caurier
Distribution
Norma : Cecilia Bartoli
Adalgisa : Rebecca Olvera
Pollione : Norman Reinhardt
Oroveso : Péter Kálmán
Clotilda : Rosa Bove
Flavius : Reinaldo Macias
Avec l'orchestre I Barrocchisti et le Coro della Radiotelevisione svizzera, Lugano
Premier spectacle de cette nouvelle saison au Théâtre des Champs Elysées pour moi, c'est avec beaucoup d'impatience que j'attendais cette Norma qui avait fait grand bruit au Festival de Salzbourg. Un opéra dont, à vrai dire, je ne connaissais que les grandes lignes, et le célébrissime air Casta Diva, mais guère plus. Côté confort, et bien que j'adore le théâtre des Champs Elysées, j'ai eu la mauvaise surprise d'être placée au fond d'une loge du premier balcon. Concrètement, cela signifie passer la moitié du spectacle debout, pour voir la scène, et l'autre moitié pliée en deux sous la chaise de son voisin de devant (j'exagère à peine) pour discerner une partie des sous-titres. Autant vous dire que les conditions n'étaient pas idéales !
L'histoire nous emmène en Gaule, sous l'occupation romaine. Les Gaulois s'insurgent contre le pouvoir de l'Empire, et Norma est leur grande prêtresse druidique. Or, en secret, car elle a ainsi rompu son voeu de chasteté, Norma est l'amante de Pollione, le gouverneur romain, avec lequel elle a eu deux enfants. Mais ce dernier finit par la délaisser pour entretenir une liaison avec la jeune Adalgisa, également druidesse. C'est la révélation de son infidélité qui va précipiter les événements, lorsque Norma décide de faire pleuvoir sur lui sa vengeance et ordonne le soulèvement du peuple gaulois. Autant vous l'annoncer à l'avance - mais vous vous en doutez probablement - cela va très mal finir...
S'il s'est bien trouvé quelques esprits chagrins pour siffler la mise en scène, j'ai pour ma part trouvé que cette transposition moderne avait du sens : au lieu de Gaulois sous occupation romaine, nous avons une terre française sous occupation nazie. Je sais que depuis longtemps ce genre de référence à la seconde guerre mondiale fait un peu tarte à la crème, et que de nombreux metteurs en scène en ont fait un simple objet de provocation, mais dans le cas qui nous occupe, la comparaison m'a semblé tout à fait cohérente. Certes, l'aspect sacré de la transgression est remplacée par la trahison patriote, dès lors, l'histoire d'amour entre Norma et Pollione peut nous apparaître aussi prohibée que dans le contexte antique et la résistance à l'oppresseur tout aussi crédible, surtout vu par le spectateur d'aujourd'hui. Un petit mot également sur le choeur, qui participe pleinement à la mise en scène - chose finalement assez peu courante - et dont on sent que chaque choriste a eu un rôle, une attitude, un élément pour individualiser son personnage dans un ensemble qui s'avère très cinématographique.
En haut de l'affiche de cette Norma, il y a Cecilia Bartoli, que je n'avais jamais vraiment écoutée, mis à part dans son interprétation de Agitata de due venti, de Vivaldi, que je me passe parfois en boucle, et où son agilité vocale est vraiment incroyable. C'était donc la première fois que je l'entendais sur scène. Ce qui m'a tout d'abord surprise, c'est qu'elle interprète Norma, car il me semblait qu'il s'agissait d'un rôle pour soprano, et non pour mezzo. Toutefois, si j'ai bien compris, la partition demande une telle amplitude vocale que la question est plus complexe qu'elle n'y paraît : je ne saurais me prononcer sur la pertinence de ce choix. La seule chose que je peux vous affirmer c'est que cette production m'a touchée, tout simplement.
A vrai dire, cette transposition, qui fait l'économie du volet religieux à proprement parler, renforce le drame patriotique tout comme le le drame intime de Norma. Les enfants qu'elle a eu de Pollione doivent-ils mourir, car ils sont ceux de Rome, ou doivent-ils vivre, car ils sont aussi son propre sang ? Cecilia Bartoli anime cette Norma de toute une palette d'émotions fantastiques, passant de la fureur la plus violente à la tendresse la plus douce, dans le chant autant que dans le jeu. Ses duos avec Adalgisa, interprétée par Rebecca Olvera sont superbes, d'autant que l'inversion des técitures (Norma mezzo et Adalgisa soprano) renforce l'image d'innocence de cette dernière autant que la gravité de Norma. Le Pollione de Norman Reinhardt tour à tour cajoleur ou franchement abject, se fait profondément tendre lors du dernier duo avec Norma, dont la supplique finale est déchirante.
Autant vous dire, même dans des conditions de confort plus qu'altérées, j'ai été très émue par cette Norma, superbe, et très applaudie. Une soirée mémorable, qui compte parmi les plus belles qui m'aient été données de vivre. Et cela vaut bien le mal de dos du lendemain matin !
La note tout à fait subjective et qui n'engage que moi : 5/5