Avis livre : Histoire de la fatigue
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De Georges Vigarello
Aux éditions du Seuil
"Stress", " burn out " ou " charge mentale " : les XXe et XXIe siècles ont vu une irrépressible extension du domaine de la fatigue. Les épuisements s'étendent du lieu de travail au foyer, du loisir aux conduites quotidiennes. Une hypothèse traverse ce livre : le gain d'autonomie, réelle ou postulée, acquis par l'individu des sociétés occidentales, la découverte d'un " moi " plus autonome, le rêve toujours accru d'affranchissement et de liberté ont rendu toujours plus difficile à vivre tout ce qui peut contraindre et entraver. Que nous est-il arrivé ?
Ce livre novateur révèle une histoire encore peu étudiée, riche de métamorphoses et de surprises, depuis le Moyen Âge jusqu'à nos jours. Les formes "privilégiées" de fatigues, celles qui mobilisent les commentaires, celles qui s'imposent en priorité aux yeux de tous, évoluent avec le temps. Les symptômes de la fatigue se modifient, les mots s'ajustent ("langueur", "dépérissement", "pénibilité"...), des explications se déploient, des degrés se précisent, des revendications se font jour.
Un parcours passionnant qui croise histoire du corps et de sensibilités, des structures sociales et du travail, de la guerre et du sport, jusqu'à celle de notre intimité. Pour éclairer tout autrement notre présent.
Il y a quelques mois, l'impossibilité de reprendre le guidage m'a poussé à prendre le premier travail qui s'est présenté. Un poste avec des horaires et un lieu de travail non établis à l'avance changeant parfois plusieurs fois en cours de journée, avec des heures supplémentaires, et une astreinte rendant impossible la planification de quoi que ce soit de personnel plus de quelques heures à l'avance.
En l'espace de quelques semaines seulement, j'ai éprouvé les effets de la fatigue comme jamais je ne l'avais ressentie auparavant : rentrer parfois trop tard du travail pour avoir le temps de dormir assez jusqu'au lendemain, ne plus réussir le week-end à récupérer de la fatigue de la semaine, lutter en journée contre l'endormissement. Symptômes physiques classiques qui ne m'auraient pas alarmés s'ils ne s'étaient doublés d'autres, complètement nouveaux pour moi : l'impression d'avoir perdu beaucoup de poids, de ne plus être moi-même, l'oubli de beaucoup de choses importantes, la perte d'une partie de ma capacité à réfléchir, voire certains jours l'impossibilité de mener un raisonnement à son terme.
Dans ce contexte, inédit pour moi, j'ai voulu intellectualiser ce ressenti, voir si quelqu'un avait déjà mis des mots sur ces sensations, particulièrement leurs aspects mentaux. Ce qui m'intéressait finalement, c'était de "remettre mon cerveau en marche" avec une vision historique du sujet. C'est alors que je me suis souvenue de l'existence de cette Histoire de la fatigue, qui par l'intervention opportune de mon frérot, est arrivée comme par magie dans ma boîte aux lettres.
Dans cet ouvrage, l'historien Georges Vigarello étudie donc la façon dont les fatigues ont été décrites, considérées, mesurées, du Moyen-Âge à nos jours. On y découvre celles qui sont valorisées, celles qui sont tues ou minorées, telles certaines fatigues physiques réputées saines pour les paysans mais dommageables pour les strates supérieures de la société. A mesure que certains aspects plus rationnels de l'organisation du travail se sont développés on commence également à se soucier de mesurer la résistance à la fatigue, et par ricochet, penser la limitation de ses effets. On y parle notamment temps de travail, création de nouveaux outils mécaniques.
Ce qui ne laisse pas de me surprendre - et pourtant je devrais être habituée depuis le temps que je fréquente l'histoire - c'est la façon dont, au fond, l'homme de change pas. Lorsqu'on évoque la réduction du temps de travail par exemple, on s'aperçoit rapidement que les arguments pour ou contre n'ont quasiment pas changé de siècle en siècle.
J'ai finalement trouvé dans cet ouvrage ce que j'étais venu y chercher. Un sujet de réflexion auquel atteler mon esprit, et une forme d'apaisement dans la confirmation que "l'abrutissement" que je ressentais était réel et avait même été étudié. Un livre passionnant, assez complexe, mais accessible du point de vue de l'écriture, qui ne se lira pas forcément d'une traite, plutôt un ou deux chapitres à la fois, le temps aux informations "d'infuser". De quoi donner également envie de lire les autres ouvrages de l'auteur sur l'hygiène, la beauté ou encore la relation au corps.
La note tout à fait subjective et qui n'engage que moi 4,5/5
Alors que le XIXe siècle a exploré comme jamais la fatigue dans ses effets organiques, de la mécanique à l'énergie, de l'oxygène à l'aliment, de l'atteinte musculaire à l'atteinte nerveuse, profilant dès lors l'horizon du psychique et du mental, inventant le surmenage, la neurasthénie, le XXe siècle, celui de "l'exploration de soi", a fait de la fatigue un fait global, affaiblissement physique ou même nerveux, sans doute, mais enveloppant l'ensemble d'un être, jouant avec l'inquiétude, le malaise, l'impossible réalisation de soi, bousculant l'existence de chacun. L'attention se porte aux effets les plus multiples, scrutant l'enjeu sur le contrôle "intérieur", l'assurance personnelle, le profil psychologique.
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