Avis livre : Jeanne Desparmet-Ruello - pionnière de l'éducation féminine
/image%2F0552923%2F20210506%2Fob_f054fc_jeanne-ruello-desparmet.jpg)
De Claire Paul
Aux éditions Des auteurs des livres
Le 22 décembre 1880, Camille Sée fait voter à l’Assemblée Nationale la loi sur la création de lycées de jeunes filles. Les grandes villes de France, une à une, décident alors de se doter d’un établissement secondaire féminin. A Lyon, le ministre de l’Instruction Publique lui-même, Jules Ferry, fait appeler Jeanne Desparmet-Ruello pour le fonder.
Cette femme audacieuse, bachelière, licenciée ès sciences, accepte de relever ce double défi : créer un établissement public dans une ville très catholique, puis diriger un lycée de filles dans une société très masculine. Les obstacles sont nombreux à se dresser sur son parcours.
Mais Jeanne Desparmet-Ruello, convaincue de la nécessité de donner aux filles la même instruction exigeante qu’aux garçons, entame un travail colossal et pose les fondements d’un établissement scolaire qui, sous son égide, s’impose progressivement comme l’un des lycées les plus prestigieux de la ville de Lyon : le futur lycée Edouard Herriot. C’est l’un des trois premiers lycées de jeunes filles de France.
Il y a quelques semaines, l'agence Média livres me proposait de découvrir cet ouvrage. Le sous-titre précise "le combat d'une femme pour les femmes", puis "pionnière de l'éducation féminine". Des sujets qui avaient de quoi m'intéresser, tant personnellement que professionnellement.
Pourtant, ce qui a achevé de me convaincre de choisir ce livre en particulier, c'est cette photographie, en couverture : un portrait de femme à la coiffure stricte, habillée d'une robe montante que l'on devine posée sur un corset. Une impression de grande détermination. Mais, incongru dans ce cliché de la fin du 19e siècle, c'est surtout son sourire presque narquois qui m'a frappé. Un air de défi qui semble dire : "vous ne m'en croyez pas capable ? C'est ce que nous allons voir ! "
C'est donc cette photo si vivante qui devient mon premier contact avec Madame Jeanne Desparmet-Ruello, institutrice, puis directrice de l'Ecole supérieure de jeunes fille de Bordeaux, licenciée en sciences, première directrice du tout premier lycée de jeunes filles créé en France, en 1880 à Montpellier, puis d'un autre établissement du même type, à Lyon. Mère et épouse. Décorée de la Légion d'honneur et des palmes académiques. Rien de moins.
Dans le combat des femmes pour accéder à la même éducation que les hommes, il est de nombreux jalons, dont on oublie souvent qu'ils ne sont pas si lointains : Julie-Victoire Daubié, première bachelière, obtient son diplôme en 1861 - l'examen a alors déjà plus de 50 ans d'existence - après s'être vue refuser à deux reprises le droit de s'y inscrire, et alors même qu'aucune loi ne le lui interdit. Elle est aussi la première licenciée de France, quelques années plus tard. Devenue journaliste, ses écrits vont être d'une grande influence sur Jeanne Desparmet-Ruello : elle y traite notamment de l'éducation des filles, mais aussi de celle des classes ouvrières, dont elle est issue.
Jeanne Desparmet-Ruello est pourtant elle aussi mal partie dans la vie. Orpheline très jeune, elle bénéficie avec ses soeurs d'une éducation sommaire dispensée par la congrégation des Lorettes, à Bordeaux. Très vite, elle développe un goût marqué pour les études et la lecture, avec une prédilection pour les sciences. Dotée d'une curiosité insatiable doublée d'une rigoureuse discipline, cette femme à l'immense capacité de travail aura aussi le courage de saisir toutes les opportunités - autant de défis colossaux - qui se présenteront sur son chemin. Avec cette conviction que tout être humain, fut-il femme ou prolétaire, a le droit à une éducation exigeante qui seule, lui permettra de s'élever et d'améliorer sa condition.
En dévorant cet ouvrage, j'ai admiré la détermination sans failles de Jeanne, ainsi que le soutien inconditionnel de son mari, Henry, qui l'a suivie dans toutes ses affectations. A n'en pas douter, si l'on en croit les mentalités de l'époque, un homme rare. J'ai également apprécié de mieux comprendre la façon dont l'éducation des jeunes filles au même niveau que celle des garçons est progressivement devenue acceptable. Au départ cette dernière est uniquement envisagée dans une optique d'entente, de connivence intellectuelle au sein des ménages. L'idée que les femmes puissent s'accomplir dans cette éducation, pour elle-même, ne s'est vraiment développée que plus tard.
La démarche de l'autrice, Claire Paul, mêle au récit - à la manière d'un roman - des passages plus classiquement biographiques, sans jamais cacher sa présence au lecteur. Elle évoque comment, à mi-chemin entre conteuse et historienne, elle a dû combler les trous d'une documentation parcellaire. Usant de déduction, de psychologie et d'imagination, elle compose un ouvrage où chaque paragraphe témoigne du respect et de l'admiration qu'elle porte à son sujet. Un très instructif journal d'écriture détaille d'ailleurs, en annexe, les différentes étapes de la conception de son projet, depuis l'idée originelle jusqu'au point final, entre recherches, trouvailles, impasses et interrogations.
Il est de nombreuses rencontres que l'on fait par hasard et qui pourtant, se font exactement au moment où vous en avez besoin. Pour moi, Jeanne Desparmet-Ruello sera de celles-là. A bien des égards, découvrir sa vie et son travail opiniâtre est tombé à pic, à un moment où je commençais à douter du sens qu'avaient mes propres efforts, rendus vains - ou du moins le paraissant - dans le curieux contexte de l'année qui vient de s'écouler. Une lecture qui m'a rappelé qu'étudier, apprendre, et vouloir faire progresser les choses n'est jamais vain.
La note tout à fait subjective et qui n'engage que moi 4/5
ACHETER | ||
![]() |
![]() |
![]() |
Pour l'heure, c'est à l'organisation très pratique de la toute nouvelle Ecole supérieure de jeunes filles de Bordeaux que se confronte Mlle Ruello. Il y a beaucoup à faire dans un établissement en création. La mairie se charge du bâtiment et de son aménagement. Jeanne s'occupe quant à elle de l'organisation des etudes et du recrutement et de la formation du personnel. Charge à elle également d'élaborer le programme de cette première Ecole supérieure et professionnelle de filles. Elle commence par s'entourer de trois professeures adjointes et par penser avec elles l'intitulé des cours.
Cet article contient des liens affiliés