Billet d'humeur : Vis ma vie de guide-conférencière.
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Il est rare que je me laisse aller à quelque billet d’humeur sur ce blog.
Je l’ai toujours voulu apolitique, et bien que l’absolue neutralité soit impossible, j’ai toujours fait de mon mieux pour ne rien laisser transparaître de mes idées dans le domaine.
Mais voilà. En discutant l’autre jour de la nouvelle réforme de pôle emploi, et de la façon dont elle allait impacter mon métier de guide-conférencière, j’ai eu une surprise. Alors que j’expliquais à mon interlocutrice que la Ministre du Travail semblait penser que les guides-conférenciers étaient des fainéants, en vacances aux frais de l'assurance chômage la moitié de l’année, elle m’a répondu, un peu gênée « Ne le prends pas mal, mais c’est aussi un peu l’image que j’en ai... ». En creusant un peu, j’ai réalisé à quel point notre façon de travailler, et la réalité du marché était méconnues.
Alors j’ai décidé de vous raconter ma vie de guide-conférencière.
Loin de moi la prétention de décrire une situation unanimement partagée dans la profession. Je ne vous parlerai simplement de mon expérience, de ce que j'ai pu observer, et des difficultés rencontrées pour exercer ce beau métier dans des conditions de plus en plus dégradées.
Décembre 2016 : J’achève ma formation, et suis en possession d’un précieux sésame : la carte de guide-conférencier.
En France, seules les personnes détentrices de cette carte délivrée par l’Etat ont le droit de guider dans les musées et les monuments nationaux. Ce n’est pas le cas pour les visites à l’extérieur, dans les rues ou les jardins de Paris, par exemple. Un détail qui a son importance, nous le verrons plus tard. J’ai jeté mon dévolu sur ce métier car la culture et l’histoire, sous toutes ses formes, me passionnent. En outre, je parle trois langues, ce qui est un atout lorsqu’on s’adresse à des visiteurs étrangers.
Pendant ma formation, de nombreux avertissements nous ont été donnés sur la précarisation du métier de guide ces dernières années : avec l’arrogance de la future diplômée, et les convictions de mon éducation où m’ont été inculquées les valeurs du travail, je pensais qu’ils exagéraient sans doute un peu : il suffirait de s’adapter au marché, d’innover, de proposer de nouveaux types de visites, bref, de travailler dur pour se faire sa place.
Mais dès mon premier stage, j’ai commencé à déchanter.
Une agence douteuse dont je tairai le nom, au lieu de me former quelque temps aux côtés de guides plus chevronnés – comme il est de coutume pour un stage - m’a mis sur le terrain de but en blanc. Deux mois à travailler à raison de deux à trois visites par jour, pour une durée de deux à trois heures chacune, le tout sans rémunération aucune. Mais que voulez-vous ? Il fallait bien valider mon stage. J’ai donc pris cette occasion de me construire une solide expérience, et j’ai continué. Qu’importe, quand j’aurai ma carte, je travaillerai dur, et ça ira.
J’entame donc l’année 2017 avec un optimisme teinté d’incertitude, mais volontaire.
J’envoie des CV à différentes agences, obtiens des rendez-vous, commence à préparer des visites. Je comprends que parmi les agences que je rencontre, certaines feront appel à moi, mais logiquement, je suis nouvelle sur le marché, il faut le temps que la confiance s’installe, c’est normal.
Désireuse de travailler, je prends donc à cette époque toutes les visites que l’on me propose, à n’importe quel tarif.
De toutes façons pour le moment les demandes ne se bousculent pas. Cela tombe bien, car il faut que je prépare mes visites, qui sont presque toutes nouvelles pour moi. J’ai un socle de connaissances, mais il me faut encore les approfondir, les organiser, les « monter » en visite.
En moyenne, une visite guidée de deux heures me demande entre une et deux semaines de préparation selon le sujet.
Un temps qui comprend la recherche, les nécessaires repérages sur place, et l’apprentissage. Un temps qui n’est ni reconnu comme temps de travail, ni rémunéré en tant que tel. Très concrètement, une visite de deux heures qui est vendue moins de quarante fois est faite à fonds perdu. La première année, j’ ai préparé une vingtaine de nouvelles visites. Les suivantes, environ une dizaine, chiffre qui semble se stabiliser année après année. Autant de semaines de travail « invisible » qui ne sont pas rémunérées.
Et je laisse de côté le travail de consolidation des connaissances : lire des livres d’histoire de l’art, se tenir au courant des dernières recherches et hypothèses, ficher des biographies, s’atteler à des sujets qu’on connaît peu pour élargir ses connaissances. Tout cela est impossible à chiffrer, mais réel. Tout cela fait partie de notre métier. Ne pas le faire, c’est prendre le risque d’offrir au visiteur une prestation mal documentée, de qualité médiocre.
La première année, donc, j’ai dit oui à tout, en me disant qu’un peu, surtout au début, c’était toujours mieux que rien.
En débutant, mon agenda de guidage n’était de toutes façons pas plein. Deux agences, en particulier, me faisaient volontiers travailler. Leur tarif pour deux ou trois heures de visite : respectivement 35€ et 50€ TTC. La réalité de ce qui tombait dans ma poche une fois tout déduit : 17€ et 20€.
A la fin de juin 2017, je me retrouve avec mon premier mois de salaire en saison haute – ceux qui doivent aussi théoriquement me permettre de vivre pendant la saison basse - à avoir effectué un total de 43 visites pour 101h de travail et un salaire de 900 euros. Je pleure.
Je réalise plusieurs choses : d’abord que je ne peux pas me permettre d’accepter des visites à ces tarifs, même par volonté de travailler. Ensuite, que, ayant travaillé neuf jours sur dix avec une plage horaire pouvant aller de 8h à 23h dans une même journée, je ne pourrais pas étendre de beaucoup plus mon nombre d’heures.
Ces agences trouvent toujours des personnes assez volontaires, ou assez désespérées, pour travailler avec elles. C’est une réalité. De mon côté, j’ai peu à peu laissé tomber ces agences à mesure que d’autres, plus équitables, ont fait appel à mes services.
Dans l’imaginaire de beaucoup de gens, le guide est employé par un musée, ou une agence, qui lui fournit travail et salaire d’avril à septembre.
On imagine que le salaire qu’on lui verse est assez conséquent pour lui permettre de passer la saison basse en vacances. Dans la réalité – en tout cas la mienne, celle que j’ai constatée à Paris – quasiment tous les guides sont prestataires et presque aucun n’est salarié. Lorsqu'ils le sont, c'est à la mission, pour les quelques heures que dure leur visite, au mieux quelques jours s'il s'agit d'un circuit, et il s'agit surtout de guides installés dans le métier depuis plus longtemps.
Pour les guides plus fraîchement sortis de formation, les agences ont un mot magique : « Auto-entrepreneur »
Ce statut, qui permet au guide de facturer, permet surtout aux agences de laisser à ce prestataire la question des cotisations, et surtout, de la TVA, auquel l’auto-entrepreneur n’est pas soumis. La plupart des agences imposent donc leurs tarifs en TTC, et tant pis pour ceux qui ont un autre statut, et qui devront déduire la TVA du montant de leur facturation.
Pour ma part, j’ai opté pour le système du portage salarial.
Concrètement, je paye un pourcentage de mes revenus à une entreprise qui s’occupe de faire mes factures, de recouvrir les montants auprès des différentes agences, de prélever de mon chiffre d’affaires la TVA, les cotisations salariales et patronales, les impôts prélevés à la source, et, in fine, de me verser un salaire, assorti d’une fiche de paye.
Je travaille donc en indépendante, mais tous les aspects administratifs sont couverts, je n’ai qu’à guider. Ce statut est également plus stable : si une agence ne paye pas tout de suite une facture, je reçois quand même mon salaire dès la fin du mois, et je cotise à niveau ordinaire pour ma retraite, et à l’assurance chômage. Je bénéficie en outre via ce moyen d'une assurance professionnelle qui me couvre dans l'exercice de mon métier.
Mais en quoi le recours à l’auto-entreprenariat de façon massive concurrence-t-il les guides avec un statut différent ?
Entendez-moi, je ne blâme pas mes camarades guides-conférenciers qui ont choisi ce statut, mais plutôt la façon dont l’auto-entrepreneuriat a tiré le prix des prestations vers le bas, tout en accentuant la précarisation de tous. Une prestation par ailleurs impossible à négocier : le tarif proposé est à prendre ou à laisser.
Prenons l’exemple fictif d’une prestation payée 100€ TTC par une agence.
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Un auto-entrepreneur en retirera au plus fort de ses cotisations 77€ (soit 23 % de cotisations)
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Un indépendant en portage salarial 40€ (20 % de TVA auquel s’ajoutent les différentes cotisations patronales et salariales, la cotisation à assurance chômage et le prix payé à l'agence de portage salarial pour ses services)
Mais pourquoi n’ai-je pas choisi ce statut d'auto entrepreneur qui semble à première vue tellement plus avantageux ?
Parce qu’il n’est au final, pas vraiment plus avantageux. L’auto-entrepreneur n’a aucune sécurité puisqu’il ne bénéficie pas de l’assurance chômage, il n’est pas indemnisé en cas d’arrêt maladie, il lui faut de plus souscrire sa propre assurance professionnelle – une bonne partie des agences ne couvrent pas les guides qui travaillent pour elle en cas d’accident d’un client – et sa propre mutuelle s’il le souhaite. Une fois tout retranché (j’avais soigneusement fait le calcul au moment de me lancer) la différence était en réalité minime.
A court terme, le statut lui fait donc miroiter plus d’argent, avec des démarches administratives simplifiées. A moyen terme, le guide-conférencier auto-entrepreneur peut accepter une visite payée à 100€ là où le guide-conférencier sous statut indépendant sait que ce n’est pas suffisant. A long terme pourtant, l’auto entrepreneur est plus précaire que l’indépendant en portage salarial puisque ce dernier a droit à l’assurance chômage. D’où mon refus du statut d’auto-entrepreneur.
Créé à l’origine pour aider les gens à démarrer leur entreprise ou arrondir leurs fin de mois lorsqu’ils avaient un autre travail, il est devenu un statut à part entière dans les métiers où le travail est intermittent. Une façon pour certaines entreprises d’avoir des prestataires bon marché sans responsabilité aucune. Ce statut devait mettre fin au travail au noir, mais détourné de son but, il est, dans les faits, devenu le statut des travailleurs précaires que l’on n’est plus obligé de salarier.
De nombreuses agences jouent heureusement le jeu
Une fois qu’on les a trouvées, celles-ci payent décemment, et pour certaines nous permettent de facturer en HT, récupérant de leur côté la TVA (Un grand merci à elles!). Des agences où l’on se sent respecté en tant que professionnel et prestataire, et avec lesquelles on a hâte de retravailler quand les temps seront meilleurs ! Mais elles ne peuvent, à elles seules, garantir un travail continu sur l’année. Il faut donc, pour s’en sortir un peu, travailler avec de nombreuses agences (6 ou 7 régulières pour ma part) qui n’ont pas toutes la même éthique.
En France, n’importe qui peut proposer des visites hors des musées, ce qui rend ce créneau fortement concurrenciel, avec la baisse des tarifs qui s’ensuit pour les guides professionnels.
A Paris, cela se traduit par exemple par la multiplication des « free tours » payés au pourboire. Prenez par exemple la différence de tarifs existant aujourd'hui entre une visite de musée et une visite de quartier. A priori, rien de différent dans le travail demandé. Mais le tarif payé par les agences pour ces deux types de visite est très différent (j'ai pris pour exemple les tarifs pratiqués par les agences avec lesquelles je travaille régulièrement, qui ne sont pas les plus bas) :
- une visite de musée de 2h sera généralement facturée, entre 100 et 180€ TTC.
- une visite de quartier de la même durée entre 60 et 70€TTC.
Du simple au double. Le travail de préparation et de guidage est pourtant le même. Les compétences supplémentaires d’un guide professionnel, détenteur de la carte, ne seront donc pas rémunérées sur une visite d’extérieur. Et on ne peut matériellement remplir son agenda uniquement de visite de musées. Pour s'en sortir, il faut diversifier ses visites, et cela veut dire, bien souvent, accepter des tarifs qui ne correspondent pas à nos compétences et à notre travail.
Si une semaine ne peut compter 35h de guidage, elle peut en revanche se dérouler sur plus de 70h
Mon nombre d’heures de guidage ne recouvre pas l’intégralité de mon travail, nous en avons déjà parlé. Je guide en une année 5 mois en équivalent 35h. C’est beaucoup. En effet, nos semaines de travail ne comportent peut-être pas 35h de guidage, mais elles s’étendent facilement sur des périodes de 70h.
Explications : Pour faire une journée de 8h de guidage (l’équivalent d’une journée de travail classique en bureau) il me faut souvent plusieurs visites. Il n’est pas rare en été d’avoir une journée qui commence de 8h à 12h par, supposons, Versailles, suivie de 14h à 16h d’une visite de musée, et enfin une visite nocturne - disons autour du Paris des légendes et du crime par exemple - de 20h à 22h. C’est une journée idéalement remplie, car la visite du matin aurait pu n’être que de deux heures.
En définitive, je commence à guider à 8h, j’achève ma journée à 22h, soit une plage horaire de 14h, sur trois sites différents plus ou moins éloignés les uns des autres - pour 8h effectivement rémunérées. Toutes les journées ne sont pas aussi étendues, mais ce n'est pas rare. Vous comprenez qu’en réalité, je ne peux pas guider beaucoup plus. Et le remplissage de l’agenda dépendant de plusieurs agences qui m’envoient les demandes au compte gouttes, je ne peux non plus « optimiser » mes temps de travail en demandant par exemple à en décaler une pour en pour en caser une supplémentaire dans une journée. Je suis entièrement dépendante des horaires et du nombre d’heures que l’on me propose.
Une pudeur toute française, je répugne à parler salaire et pourtant, il va bien falloir.
Alors, combien je gagne, au final ? Parlons de l’année 2019, une excellente année pour moi, avec un mois de janvier record (230€) et un mois de juillet record (3000€). Une période d’été pleine, dans laquelle je n'ai pas eu beaucoup de créneaux sans réservation. Un hiver pas trop mauvais. Et une moyenne annuelle qui s'élève à... 900 euros par mois.
Mais j’avais un objectif pour 2020 : développer ma clientèle « en direct », française, pour diversifier mon activité et guider davantage pendant les mois à peine pleins. Je misais sur l’augmentation de mes guidages sur mars, avril, peut-être octobre. Je construisais mon site Internet, créais de nouvelles visites originales. Et puis 2020 est arrivé, réduisant cette dynamique à néant. Tout sera à refaire.
Paradoxalement, j’ai besoin de pôle emploi alors que j’exerce mon métier à plein temps.
Parce que les tarifs imposés sont à la baisse, parce que notre carte n’a aucune valeur hors les musées, parce qu’on ne reconnaît ni le travail de préparation des visites, ni les larges plages horaires sur lesquelles nous oeuvrons, parce que le tourisme est saisonnier, mais que notre métier est bien plus complexe que simplement traîner des groupes derrière un parapluie. Oui, je travaille à temps plein, mais j'ai besoin de l'aide de l'assurance chômage.
Et je ne supporte pas que l’on m’accuse d’être une fainéante qui part en vacances six mois par an.
Il n’est pas un mois de basse saison où je n’ai pris toutes les visites qui se présentaient, où je n’ai pas fourni à pôle emploi une fiche de paye aussi maigre soit-elle, pour qu’il puisse retirer de mon allocation la somme que j’avais gagnée par moi-même.
Je n’ai pas de congés payés. Je guide 9 jours sur 10 de mai à septembre, tout l’été, à Noël, à Pâques, et en tout temps où les autres sont en vacances. Je travaille 12 mois par an, mais ne réunis « que » 5 mois en équivalent 35h puisque seul le guidage est compté. Je n’ai pas de tickets restaurants – et je dois prendre un à deux repas à l’extérieur, six mois par an. Mes transports ne sont pas remboursés.
Mais de tout cela, je ne me plains pas. Ce sont les aléas de ce métier que j’ai choisi, que j’aime passionnément, et qui participe au rayonnement de mon pays et de sa culture auprès du monde entier.
Avec la pandémie, forcément, les choses sont allées de mal en pis
Je n’ai pas fait une seule visite depuis février 2020. Avec la pandémie, tout a été mis à l’arrêt. C’est compréhensible, et au-delà des débats politiques, j’ai compris que sans touristes, et avec les musées clos, je n’aurais de toutes façons pas de guidage. Avec mon statut et mes cotisations, qui me coûtent si cher au quotidien, j’ai obtenu 10 mois d’indemnisation pôle emploi. Un luxe inouï par rapport à nombre de mes camarades sous un statut moins protecteur, qui se sont retrouvés sans aucune ressource du jour au lendemain.
Sans espoir de voir les musées rouvrir, sans espoir de gagner quoi que ce soit en guidant en 2020, j’ai continué à travailler en pensant à l’avenir : j’ai commencé à apprendre une quatrième langue pour étendre mes compétences, imaginé de nouvelles visites, étudié l’art du XXe siècle pour lequel je manquais de bases. Dans ce temps suspendu, et sans guidage, il ne convenait pas de se reposer.
Les mois ont passé, et la perspective de guider à moyen terme s’est flétrie, en même temps que s’épuisaient mes droits à l’assurance chômage. Il fallait bien se rendre à l’évidence et trouver un autre travail temporaire. Plusieurs mois d’angoisse et des centaines de CV plus tard j’ai enfin trouvé, un travail. Transformée en meuble, je dois me contenter de sourire, d’accueillir quelques rares visiteurs et de répondre au téléphone dans de grands immeubles de bureaux vidés de leurs occupants. Pour 45h par semaine et presque deux fois moins de salaire horaire. Inintéressant au possible, inutile à la société, et d’un ennui mortel. Mais rester sans emploi eut été pire.
J’aurais bien voulu qu’on reconnaisse que je suis dans l’incapacité d’exercer mon métier.
J’aurais bien voulu que l’on prenne en compte les spécificités de mon métier et que l’on comprenne que, comme un professeur à temps plein – qui donne 18h de cours et consacre le reste de ses 35h à préparer ses cours et corriger des copies – mon métier ne se limite pas au guidage. Un statut autrefois reconnu par feu le statut d’intermittent de la culture, supprimé par le gouvernement en 2014.
J’aurais bien voulu qu’on me donne une année blanche, non pas pour partir en vacances, mais comme reconnaissance que, de même que les intermittents du spectacle étaient dans l’impossibilité de travailler avec la fermeture des théâtres, j’étais, en tant que guide, avec la fermeture des musées et l’interdiction de groupes supérieurs à 6 personnes, dans l’impossibilité matérielle de guider.
J’aurais bien voulu que l’État, tout fier d’avoir versé 26 millions d’aides au secteur touristique, s’avise de voir qu’une partie des maillons essentiels de la médiation culturelle, que sont les guides-conférenciers, sont passés « entre les trous de la raquette ». Parce qu’ils ne sont ni auto-entrepreneurs, ni éligibles au fonds de solidarité, et qu’ils ne peuvent non plus avoir accès au chômage partiel puisqu’ils ne sont pas en CDI.
Et la nouvelle réforme de l’assurance chômage dans tout ça ?
Et il y a désormais pire, méconnaissance ou mépris : la remise sur le tapis de la réforme de l’assurance chômage. Que je vous explique : dans le système actuel, encore en vigueur pour quelques mois, on regroupait le nombre d’heures de guidage en « équivalent jours à temps plein » 7h de guidage correspondant à une journée de travail. On divisait le salaire gagné sur la période par le nombre de jours, et cela donnait une base pour le calcul des indemnités, lesquelles étaient versées sur la même durée que la période de référence. Par exemple, le salaire gagné sur deux ans de guidage, correspondait à 10 mois d’équivalent temps plein. On le divisait par le nombre de jours dans ces 10 mois, et les allocations une fois calculées sur cette base étaient versées sur une durée équivalente, soit 10 mois. Fastoche. Pas idéal, mais logique. Plus on travaille, même sur des durées courtes, plus on cotise, plus on est assurés.
La réforme qui doit entrer en vigueur en juillet prochain est de la pire espèce : elle se fait au détriment de tous les travailleurs qui ont des périodes de travail discontinues, dont les guides-conférenciers font partie. Au mépris du fait que le guidage ne se pratique pas 8h par jour, 5 jours par semaine, la période de référence du calcul ira désormais du premier jour de contrat au dernier jour de contrat.
Qu’est ce que cela change ? Vous vous souvenez de la méthode de calcul actuelle (Salaire / nombre de jours travaillés = base de calcul pour allocation versée sur une durée égale au nombre de jours travaillés) ? Avec la nouvelle réforme, ce même salaire, accumulé en deux ans, et équivalent à 10 mois à temps plein, sera divisé par 24 mois, le temps réel écoulé, et versé sur la même durée.
Pour plus de clarté, prenons un salaire fictif de 1000 euros pour plus de facilité de calcul. La durée est elle aussi fictive, puisqu’elle n’ouvre pas de droits à l’assurance chômage, mais considérons qu’il a été obtenu en 10 jours de travail, étalés sur 3 mois.
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Calcul actuel : 1000 / 10 = 100€ de salaire journalier de référence
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l’allocation quotidienne une fois calculée sera versée sur 10 jours
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Calcul futur : 1000 / (3x20jours ouvrés) = 16,6€ de salaire journalier de référence
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L’allocation quotidienne une fois calculée sera versée sur 3 mois.
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Alors le gouvernement nous dit « oui, mais comme votre indemnisation est prolongée d’autant, vous touchez la même somme au final ». Oui mais non.
Parce qu'une fois le calcul effectué, il divise de plus de cinquante pour cent mon allocation, et me laisse pour survivre en saison basse une somme qui ne me permettra même pas de payer ma part du loyer. Que m’importe qu’ils me la versent pendant deux ans si elle ne me permet pas de tenir deux mois ?
Tout salaire obtenu y sera logiquement soustrait et en y regardant bien, il sera même contre-productif de chercher à travailler un peu pendant le versement de l’allocation. Si mes calculs sont bons, pour un bon mois de janvier, mettons 230 euros obtenus en guidant, il sera considéré avec le nouveau calcul que j’ai travaillé 1 mois entier, pour 1,60 de l’heure. Je n’aurais d’intérêt à travailler que les mois « pleins » en perdant le moins de jours non travaillés possibles, un comble pour une réforme censée nous encourager à travailler plus…
Les métiers qui travaillent en discontinu ne travaillent pas forcément moins que les autres
Cette nouvelle réforme pénalisera tous les métiers où l’on ne travaille pas 35h par semaine, plusieurs mois d’affilée. Et cela ne concerne pas que les guides-conférenciers. Nous sommes nombreux dans ce cas, regroupés sous l'appellation officieuse d'intermittents de l'emploi.
Ne pas travailler au rythme des horaires de bureau ne veut pas dire ne pas travailler. Notre rythme est différent et la quantité de notre travail ne se mesure pas à un agenda régulier. Certaines de nos heures de travail sont invisibles. Mais nous ne pourrions exercer notre métier avec l’exigence qu’il requiert si nous ne les faisions pas.
Nous avons choisi ce beau métier par amour de la culture française, de ses monuments, de sa gastronomie, de sa peinture, des artistes français et étrangers dont les œuvres y sont exposées, des civilisations étrangères qu’il l’ont influencé, de l’ingéniosité de ses inventeurs, de ses architectes, de ses urbanistes, de son histoire mouvementée forgée par les rois autant que par des hommes et des femmes du peuple. Nous autres guides-conférenciers en faisant quotidiennement le récit, nous ne savons que trop bien la façon dont les crises peuvent bouleverser des sociétés.
Que restera-t-il de l’art de vivre à la française, et de son rayonnement culturel lorsqu’il n’y aura plus personne pour en parler ?
Les guides-conférenciers sont un maillon essentiel de ce rayonnement. Ils racontent, expliquent, montrent, décryptent, donnent des clés de compréhension. Ils participent à l’émerveillement pour notre beau pays en s’adaptant à tous, quel que soit leur niveau de connaissance. Qu’en restera-t-il ? Quelle exigence d’accueil, d’exactitude, de service, de transmission restera-t-il lorsque les guides-conférenciers seront tous reconvertis, ou poussés à la misère ? Il restera des arts et une culture sublimes sans personne pour les transmettre au grand public. Et un terrible gâchis.
Moi je veux guider. Je suis fière de ce métier d’ambassadrice de mon pays : c’est un fabuleux métier, passionnant, exigeant et au-delà des clichés, dont la réalité est méconnue.
Si je n’avais que trois souhaits à demander au gouvernement, ce serait ceux-là :
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Redonnez à la carte sa vraie valeur en en faisant la condition sine qua non pour avoir le droit de guider en France.
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Rétablissez le statut d’intermittent de la culture, qui reconnaissait les spécificités de notre métier
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Abandonnez la nouvelle réforme de l’assurance chômage, qui enfonce encore davantage les travailleurs des secteurs déjà les plus durement touchés par la crise, dont certains n'ont pas eu un centime de la solidarité nationale.
Je veux juste pouvoir un jour recommencer à exercer mon métier.
Et en vivre.
Est-ce trop demander ?