" Ce matin, je me suis réveillée, j'entendais tout ! "
À 4 ans, Alice perd sa mère. Elle est alors adoptée par une femme qui a aussi élevé Vincent, ce frère d'adoption avec qui Alice partage un amour fusionnel. À 13 ans, elle tombe enceinte. Elle qui depuis toujours écoute le monde de tout son être sera internée par cette mère qui n'a jamais su appréhender les singularités d'Alice et qui craint maintenant les préjugés.
Aujourd'hui, Alice a 36 ans. Elle recouvre sa liberté et donne rendez-vous à son fils, Nim, qu'elle n'a pas revu depuis leur séparation quand il avait un an. C'est dans l'attente de ce fils qu'Alice se livre à nous et nous offre la parole libératrice et lumineuse d'une femme qui s'éveille. Enfin.
C'est dans le cadre du festival 7.8.9 du Théâtre de Nesle que j'ai eu l'occasion de découvrir ce spectacle. Ce festival, qui a regroupé cette année 35 spectacles en 25 jours, met à l'honneur toutes les sortes de théâtre, du plus classique à l'improvisation, en passant par des formes musicales ou du mime.
Avec l'Affranchie, Pauline Moingeon Vallès - à la fois auteur et interprète de la pièce - aborde un sujet délicat. Ou plutôt un entrelacement de sujets tous plus délicats les uns que les autres : le suicide, l'adoption, le deuil, la maternité, la maladie, la recherche d'identité, le besoin d'amour, l'acceptation de soi.
Pendant plus d'une heure Alice, seule en scène, nous raconte ses souvenirs : le suicide de sa mère, presque sous ses yeux, son père, sa belle-mère - "la mère", comme elle l'appelle - sa relation fusionnelle avec son frère adoptif, dont elle tombe finalement enceinte à seulement treize ans, avant d'être internée dans une institution psychiatrique. Elle raconte la séparation d'avec son fils, les psychologues, la douleur, le manque, l'impuissance, l'incompréhension, et le sentiment, pire encore que tout, que sa souffrance et ses sentiments ne sont jamais entendus, juste analysés. Comme elle le dit à un moment : "Je veux juste une conversation normale, mais visiblement y a pas moyen dans cet hosto, pas même dans votre bureau"
Alice est un de ces personnages pas forcément attachants d'emblée, mais qui inspire rapidement une compassion qui peu à peu se mue en respect : il faut une force peu commune pour surmonter ce genre d'épreuves et en ressortir sans haine.
Par moments, les paroles d'Alice s'entrecoupent d'enregistrements, témoignages réels - ou du moins, que l'on suppose tels - de personnes qui ont vécu les situations évoquées par la jeune femme, brouillant encore davantage les frontières entre la réalité et le travail d'écriture.
Avec cette histoire et ce personnage meurtri, mais rempli d'une immense soif de vivre, l'Affranchie se révèle une pièce toute en sensibilité, à la fois pleine de douleur et d'espoir, qui parle d'une chemin de vie particulier, mais qui parlera à tous. Car, au fond, au-delà de toute analyse, il est un thème qui sous-tend tout ce texte : la simple - et pourtant si complexe - recherche du bonheur.
La note tout à fait subjective et qui n'engage que moi : 4/5