Avis opéra : Orfeo Ed Euridice

De Christoph Willibald Gluck
Au Théâtre des champs Elysées
Du 22 mai au 2 juin 2018
Direction musicale : Diego Fasolis
Mise en scène : Robert Carsen
Orphée : Philippe Jaroussky
Eurydice : Patricia Petibon
L'Amour : Emőke Baráth
I Barocchisti
Chœur de Radio France

Cet Orfeo Ed Euridice - en italien dans le texte - est tiré d'une célèbre histoire de la mythologie grecque : alors qu'elle se promenait dans la forêt, Eurydice est surprise par un des fils d'Apollon. Fuyant ses ardeurs, la belle marche sur un serpent qui la mort au talon, morsure à laquelle elle succombe.
Le poète Orphée, son époux, est inconsolable. Il émeut tant les divinités de l'Olympe avec son chant qu'elles l'autorisent à aller chercher Eurydice au royaume des morts. Seule condition posée à Orphée par les Dieux pour pouvoir ramener sa bien-aimée : ne pas la regarder avant qu'elle ne passe le seuil des enfers... saura-t-il résister à la tentation ?

Dès le lever de rideau, le plateau laisse apparaître un lieu de désolation. Sur le sol caillouteux, un cortège d'ombres s'avance, entonnant un champ funèbre : c'est Eurydice que l'on enterre. Lentement, le corps sans vie de la belle nymphe est amené jusqu'à sa dernière demeure, sous le regard accablé de son époux, silencieux. Je me laisse bercer par la beauté du choeur, grave et douloureux.
Tout à coup, quatre syllabes fendent l'air : Orphée appelant le nom de sa bien-aimée Eurydice. Quatre notes déchirantes, presque un cri. Quatre notes qui ont suffi à me prendre aux tripes. Orphée se jette sur le corps de son épouse pour tenter de l'arracher à son linceul et moi, je suis déjà en larmes.

L'intensité de ces premières minutes ne va pas retomber : Orphée descend aux Enfers pour chercher sa bien-aimée, et doit affronter la peur, mais également les défunts courroucés de voir un vivant profaner leur demeure. Emouvant les ombres de l'au-delà grâce à son chant douloureux, il finit par retrouver son épouse.
Mais Eurydice, passé les premiers instants, doute : pourquoi son époux ne l'étreint-il pas ? Pourquoi ne daigne-t'il pas même la regarder ? Contraint par la promesse faite aux Dieux, Orphée ne peut expliquer la cause de son apparente froideur, et la douleur de sa femme va le mettre à rude épreuve. L'occasion d'un duo splendide où Philippe Jaroussky et Patricia Petibon sont époustouflants.

Orphée n'y tient plus : ne pouvant supporter plus longtemps les larmes de son épouse, il se retourne pour la consoler, et elle succombe à nouveau. Eurydice est perdue pour toujours.
Enfin, pas tout à fait : à l'époque de Gluck, la bienséance voulait qu'une oeuvre de divertissement s'achevât de façon heureuse. Le compositeur s'est donc permis de trouver un subterfuge permettant d'arriver au happy ending désiré : touchés par le désespoir du poète qui tente de mettre fin à ses jours, l'Amour et les Dieux décident - in extremis - de lui rendre Eurydice. Tout est donc bien qui finit bien.

Alors que je m'attendais à apprécier cette oeuvre du bout des oreilles, tout à concouru ici à m'enchaîner irrésistiblement au destin de ces deux coeurs amoureux. Philippe Jaroussky, tout d'abord, campe un Orphée au désespoir déchirant. Le rôle d'Eurydice, relativement court sur le papier, est plus délicat qu'il n'y paraît : le personnage ne se montrant qu'au dernier acte, et le risque est grand, pour l'interprète, d'être légèrement en deçà de l'intensité dramatique savamment déployée depuis le début de l'oeuvre. Patricia Petibon évite avec aisance cet écueil et nous livre une interprétation touchante de désarroi.
Quant à la mise en scène de Robert Carsen - un nom que je ne connaissais que de réputation - elle joue habilement de l'ombre et de la lumière pour créer des tableaux sublimes de simplicité, servant d'écrin au jeu des interprètes sans jamais chercher à leur voler la vedette.
C'est fort, c'est sublime, presque magique : une de mes plus belles émotions opéra depuis bien longtemps !
La note tout à fait subjective et qui n'engage que moi : 5/5
