pecheur d islande pierre lotiDe Pierre Loti

Entre Gaud, fille d'un gros commerçant de Paimpol, et Yann, le pêcheur, il y a bien des obstacles : la différence des conditions et des fortunes, bien sûr ; mais aussi la timidité farouche du jeune homme, de ceux qu'on nomme les «Islandais» parce que, chaque année, leurs bateaux affrontent, durant des semaines, les tempêtes et les dangers de la mer du Nord.

 

 

Voici un classique acheté par hasard, dans un élan de bonne volonté littéraire, puis relégué dans un obscur coin de ma PAL pendant quelques années, honteusement oublié. C'est donc grâce au challenge petit bac 2012 d'Enna lit, que je l'ai extirpé de ma bibliothèque.

Il s'agit d'un ouvrage très beau sous bien des aspects, en premier lieu desquels son écriture, si poétique dans ses descriptions de la mer d'Islande, des brumes et de la côte bretonne. L'image du marin, force de la nature et forgé par elle est belle, quoique inexacte, lorsqu'on connaît les maux dont souffraient lesdits "Islandais" (parmi lesquels, et non des moindres, le scorbut) mais elle s'impose sans effort dans cet ouvrage qui se lirait presque comme une légende, un de ces contes que l'on raconterait au coin du feu.

Si les personnages, parangons de force et de vertu, semblent peu crédibles de prime abord, leur fraîcheur naïve et confiante finit par nous emporter. Il y a quelque chose de touchant dans cet amour tout simple et cette vie de dur labeur. La mer, à elle seule, constitue un personnage à part entière, et quel personnage : tour à tour agitée, calme, jalouse, généreuse ou terrible, elle est au coeur de ce roman, et en anime tous les paysages.

Un roman des gens de mer, très idéalisé, mais dont les héros sont portés par une indéniable grandeur et un souffle quasi épique. 

La note tout à fait subjective et qui n'engage que moi : 4/5

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La première fois qu'elle l'avait aperçu, lui, ce Yann, c'était le lendemain de son arrivée, au pardon des Islandais, qui est le 8 Décembre, jour de la Notre-Dame de Bonne-Nouvelle, patronne des pêcheurs, un peu après la procession, les rues sombres encore tendues de draps blancs sur lesquels étaient piqués du lierre et du houx, des feuillages et des fleurs d'hiver.

A ce pardon, la joie était lourde et un peu sauvage, sous un ciel triste. Joie sans gaîté, qui était faite surtout d'insouciance et de défi; de vigueur physique et d'alcool; sur laquelle pesait, moins déguisée qu'ailleurs, l'universelle menace de mourir.

Grand bruit dans Paimpol; sons de cloches et chants de prêtres. Chansons rudes et monotones dans les cabarets; vieux airs à bercer les matelots; vieilles complaintes venues de la mer, venues je ne sais d'où, de la profonde nuit des temps. Groupes de marins se donnant le bras, zigzaguant dans les rues, par habitude de rouler et par commencement d'ivresse, jetant aux femmes des regards plus vifs après les longues continences du large. Groupes de filles en coiffes blanches de nonnain, aux belles poitrines serrées et frémissantes, aux beaux yeux remplis de désirs de tout un été.

Vieilles maisons de granit enfermant ce grouillement de monde; vieux toits racontant leurs luttes de plusieurs siècles contre les vents d'Ouest, contre les embruns, les pluies contre tout ce que lance la mer; racontant aussi des histoires chaudes qu'ils ont abritées, des aventures anciennes d'audace et d'amour.

Et un sentiment religieux, une impression de passé, planant sur tout cela, avec un respect du culte antique, des symboles qui protègent, de la Vierge blanche et immaculée. A côté des cabarets, l'église au perron semé de feuillages, tout ouverte en grande baie sombre, avec son odeur d'encens, avec ses cierges dans son obscurité, et ses ex-voto de marins partout accrochés à la sainte voûte. A côté des filles amoureuses, les fiancées de matelots disparus, les veuves de naufragés, sortant des chapelles des morts, avec leurs longs châles de deuil et leurs petites coiffes lisses ; les yeux à terre, silencieuses, passant au milieu de ce bruit de vie, comme un avertissement noir. Et Là, tout près, la mer toujours, la grande nourrice et la grande dévorante de ces générations vigoureuses, s'agitant elle aussi, faisant son bruit, prenant sa part à la fête.

De toutes ces choses ensemble, Gaud recevait l'impression confuse. Excitée et rieuse, avec le coeur serré dans le fond, elle sentait une espèce d'angoisse la prendre, à l'idée que ce pays maintenant était redevenu le sien pour toujours...

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