Au Phénix (Paris 11)

Adresse tenue secrète jusqu'à réception des billets 

Jusqu'au 4 mai 2019 

 

L'an dernier, j'assistais pour la première fois à une représentation de théâtre immersif avec Helsingor. Une expérience qui m'avait bouleversée, à bien des égards, et qui m'avait fait découvrir le concept même de théâtre immersif : l'abolition de la frontière entre l'espace de la salle et celui de la scène. Le spectateur déambule dans les espaces où jouent les comédiens, invité à se promener au gré de sa fantaisie, à observer les décors, voire à interagir avec les différents personnages, bref, à pénétrer au cœur de la fiction. Alors forcément, lorsque j'ai vu les premiers articles annonçant la tenue à Paris de Close, un spectacle sur le même concept, j'ai voulu être du voyage !  

Close plonge le spectateur en 1917. Au cœur de la guerre, il pénètre dans un lieu défiant les conventions : une ancienne maison close, reconvertie par ses pensionnaires en cabaret. Ou plutôt, comme aiment à le dire ses artistes : en maison libre. Dans ce lieu tenu secret - couvre-feu oblige - et prénommé le Phénix, les anciennes prostituées continuent à assurer le spectacle. Mais si elles chantent, dansent ou s'"épluchent" encore, c'est désormais de leur plein gré. Et puis, si elles ne vendent plus leurs charmes, rien ne les empêche d'en faire encore usage, si l'envie leur en prend ! 

photo Close théâtre immersif

Mais ce soir n'est pas un soir comme les autres :  un mariage se prépare au Phénix, et les spectateurs en sont les invités. La protégée du lieu, Blanche, doit épouser Vadim, un jeune homme de bonne famille parti sur le front, et dont on attend le retour d'une minute à l'autre, à la faveur d'une permission arrachée pour l'occasion.  

En arrivant, le spectateur est délesté de ses affaires - vestiaire obligatoire, surtout pour les téléphones portables - et se voit prêter un masque qu'il lui faudra porter durant toute la représentation. Une façon de séparer les catégories de spectateurs : doré pour les témoins de la mariée (les tickets VIP) le masque est découpé dans un tissu imprimé des cerisiers de Van Gogh pour les autres invités (ticket simple).  Tous rejoignent ensuite le bar, en sous-sol. Sur les murs de la cave voûtée, des gravures, des photographies coquines du début de siècle, et un arrêté préfectoral, sur le côté, assez discret, indiquant la fermeture du Phénix le 10 avril 1917. Je ne peux m'empêcher de me demander s'il s'agit de la copie d'un véritable document d'époque ou un habile montage réalisé pour plus de véracité. 

Après de longues minutes apparaît Petite Chose, jeune homme travesti à l'humeur facétieuse, personnage attachant qui nous conte l'histoire de ce lieu pas comme les autres, puis nous invite à rejoindre le cabaret à proprement parler. Le spectateur découvre alors le superbe décor : guirlandes de lumières, lampions, dentelles, verrière, piano, chaises en velours rouge, dorures, lustres anciens, tout est fait pour nous plonger dans une ambiance délicieusement rétro, fourmillant de détails.  En se promenant d'une salle à l'autre, on trouvera des lettres destinées à des soldats sur le front, des accessoires de scène, des bijoux, des poudres cosmétiques diverses, des gravures, des boîtes anciennes, et bien d'autres objets s'offrant au regard curieux des invités. 

photo Close spectacle - théâtre immersif

Nous découvrons également les femmes et les hommes qui travaillent et vivent ici. Blanche, la fiancée, mais également Zélie, Simone, Frantz, Olympia, Petite Chose déjà croisée au bar, et même la soeur de Vadim, le futur marié, sont là pour nous accueillir. Langage châtié pour l'une, accents divers ou gouaille parigote pour d'autres, ils engagent le plus naturellement du monde la conversation avec l'un ou l'autre des invités, leur demandant parfois de l'aide pour mettre la main aux derniers préparatifs. En attendant le futur marié, artistes et membres de la famille se succèdent sur la petite scène du cabaret, avec des numéros et chansons à l'ancienne. 

Gros coup de coeur de mon côté pour celle racontant l'histoire d'une épouse d'ambassadeur s'ennuyant dans une réception... jusqu'à ce qu'une jeune homme aux intentions peu équivoques l'approche. Avec ses rimes que l'on croit ostensiblement graveleuses et qui sont finalement toujours détournées in extremis, cette chanson est interprétée avec une grande malice par la très bourgeoise - mais pas bégueule - soeur du futur marié. J'ignore s'il s'agit d'une chanson ancienne exhumée ou d'une composition faite spécialement pour le spectacle, mais je cherche à mettre la main dessus depuis...

Difficile de vous en dire davantage sans divulgâcher - spoiler - l'intrigue et la suite du spectacle. Disons simplement que le marié se fait un peu trop attendre et qu'un invité importun va quelque peu gâcher la fête.  

photo Close spectacle - théâtre immersif

Alors, convaincue par Close ? Pas entièrement, à dire vrai. J'ai adoré le décor, la profusion des objets, le sens du détail de leur disposition dans un joyeux bazar, comme si le lieu était réellement habité et que nous y avions surpris ses habitants en pleine préparation. J'ai aussi beaucoup apprécié l'ambiance cabaret, gentiment coquine, avec ces femmes et hommes qui revendiquent en ce lieu leur liberté d'être différents. J'ai beaucoup aimé l'interprétation de certains personnages, Petite Chose et la soeur de Vadim en tête...mais. Mais. 

L'ensemble pêche par son histoire plutôt bancale, sa volonté de plaquer des jugements contemporains sur un contexte du début du siècle, et surtout, par un méchant tellement caricatural qu'il en devient ridicule, n'étant crédible ni historiquement, ni humainement. On peut vouloir en faire un salaud absolu - après tout, ce n'est selon moi pas le plus intéressant, mais pourquoi pas? - mais même un tel personnage aurait des motivations. Que le texte ou la mise en scène ne laissent transparaître à aucun moment. Qu'on ne voit ni ne ressent, ni même ne devine à aucun moment. Que l'on peut essayer d'imaginer, tout au plus, sans grande conviction. 

On peut aussi déplorer une certaine maladresse de la gestion des catégories de spectateurs : ceux qui ont payé plus cher (tarif VIP) auront le droit d'assister à des scènes interdites aux autres. Je comprends la nécessité financière d'échelonner des tarifs, et que la différence se fasse sur la personnalisation de l'accueil ou en incluant des consommations, mais je suis très mal à l'aise avec l'idée que les spectateurs avec un ticket simple se voient privés d'une partie du spectacle. Dernier regret : l'action se tenant souvent dans un coin de la grande salle et les spectateurs étant debout, il est fréquent que les moins grands ne voient pas - ou pas bien - ce qui se passe. Il aurait sans doute été plus judicieux de concentrer une partie de l'action sur le centre de la salle, permettant aux spectateurs de se placer tout autour en  évitant l'effet masse. 

En résumé, Close offre un spectacle très réussi en termes d'ambiance, de chansons, de costumes et de décor. Hélas, le succès de l'immersion et l'inclusion d'une part d'improvisation - inévitable dès lors qu'il y a interaction avec le public - ne dispense pas de soigner la crédibilité du scénario, la psychologie des personnages et le texte, qui m'ont semblé les parents pauvres de cette production. 

La note tout à fait subjective qui n'engage que moi : 2,5/5

https://www.bigdrama.fr/close/

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